Valère Staraselski

Au nom de la loi
essai sur la loi Gayssot
cosigné avec Didier Daeninckx




Valère Staraselski cosigne avec Didier Daeninckx Au nom de la loi, essai sur la loi Gayssot, publié aux éditions Bérénice en 1998.

Ils s’en expliquent pour les Cahiers du communisme.

Si pendant quelques années, certains ont pu penser que l’offensive de l’extrême droite pouvait être contrée par un discours moralisateur, il est aujourd’hui clair que la réponse est essentiellement politique et économique. L’ouvrage Au nom de la loi se fixe pour objectif d’exposer les motifs qui ont présidé à la présentation par les élus communistes au Parlement d’un texte législatif adopté en 1990 sous le nom de loi Gayssot. Cette loi complétait la loi Pleven de 1972 réprimant les menées racistes, en développant la répression contre les actes antisémites, xénophobes. Elle accordait davantage de pouvoir d’intervention aux associations comme le mrap, Sos-Racisme ou la Licra pour contrecarrer la propagande révisionniste et négationniste, et les diverses formes de contestation des crimes contre l’humanité.

Cette loi a suscité de nombreuses oppositions, et des personnalités d’envergure ont exprimé des doutes quant à son utilité.

-Les négationnistes des chambres à gaz seraient-ils si nombreux, si influents qu’ils puissent représenter un réel danger ?

 Ne faudrait-il pas mener toutes les forces dans le combat, au présent, contre le Front national, sur les seuls terrains économique et social et là où ne cessent de se creuser les gouffres de misères, d’exclusion, de désespoir ?

Nous pensons qu’on ne parviendra à faire reculer les idées brunes que par un travail méthodique n’excluant aucun des axes de leur pénétration.

L’idéologue frontiste Pierre Vial qui vient d’être fait vice-président de la commission culture du Conseil régional de Rhône-Alpes ne fait pas mystère des ambitions de son parti : « il est nécessaire, indispensable, de lier en permanence guerre culturelle et combat politique - car il serait vain de prétendre assumer le pouvoir politique sans avoir la maîtrise du pouvoir culturel ». (1)

L’offensive néo-fasciste

Les saillies de Jean-Marie Le Pen ont montré que la destruction de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, la réhabilitation de la « préférence nationale » vichyste sont au centre du dispositif du combat culturel du Front national qui n’a de cesse d’imposer ses conditions à ses
alliés venus de la droite classique. On peut régulièrement lire dans National hebdo des articles conçus d’après Pierre Vial, comme un « antidote aux machinations et à l’oubli de l’histoire » afin de « lutter contre les schémas manichéens entretenus depuis cinquante ans par la police de la pensée » (2).

Ce renversement sémantique a culminé en août 1998 avec les appels réitérés du même journal à l’organisation de rafles et à l’ouverture de camps de concentration pour les sans-papiers et leurs soutiens.

Une campagne située dans la droite ligne des déclarations faites en présence d’un ancien Waffen SS par Le Pen, à Munich : « Les chambres à gaz sont un détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. » Ils tentent ainsi d’amoindrir, de banaliser les responsabilités du nazisme et de rendre acceptables les thèses néo-fascistes qu’ils promeuvent. Le masque tombe, si besoin était, à la lecture d’un autre article de National Hebdo : « Chacun aura compris pourquoi je parle encore si longuement du détail en cette fin d’année ; c’est parce qu’il est le dernier obstacle à notre venue au pouvoir. Détail de l’histoire, les chambres à gaz sont le centre du dispositif d’exclusion des nationaux, de l’inclusion des communistes parce qu’elles relativisent les crimes de ces derniers » (3) .

-(1)Pierre Vial donne la priorité au « combat culturel », le Monde, 2 mai 1998

 (2) Le Monde, 2 mai 1988, article cité

 (3) Martin Peltier, National Hebdo, 25 décembre 1997
A n’en pas douter, nous sommes devant l’un des axes privilégiés de la route tracée, et suivie par le Front national. Lorrain de Saint-Affrique, ancien collaborateur direct de Jean-Marie Le Pen, précise : « Le Pen a toujours pensé que l’antisémitisme serait tôt ou tard un créneau, un élément moteur car il y a, selon lui, en France, une transmission quasi héréditaire de l’antisémitisme dans le corps social » (4).

L’extrême droite piaffe d’impatience, elle pense venu le moment de revenir sur le rapport de force antifasciste établi à l’issue de la Seconde Guerre mondiale qui l’a discréditée. La disparition de l’Union soviétique l’a renforcée dans cette idée, mais la permanence, en France, de la référence au combat anti-nazi ne lui permet pas d’aller aussi loin qu’elle le voudrait. C’est ce qui explique que dans son dispositif idéologique la banalisation, la négociation des crimes contre l’humanité ait toujours partie liée avec l’anti-communisme

L’offensive néo-fasciste, relancée à la fin des années 70, a pu s’appuyer sur des alliés inattendus. Des cautions d’une ultra gauche en déliquescence comme les militants de la Vieille Taupe, de la Guerre Sociale, de la Banquise, parfois même des secteurs marginaux de la gauche incapables de dissocier la condamnation de la politique de l’Etat d’Israël et une phraséologie antisioniste caricaturale. Comme si la ligne de partage passait entre Juifs et Arabes, et qu’il ne s’agissait plus de rassembler progressistes palestiniens et progressistes israéliens. L’animateur de Radio-Courtoisie Serge de Beketch menaçait, du temps où il occupait des fonctions officielles au service communication de la mairie de Toulon : « la droite nationale n’a pas d’adversaires, mais des ennemis. Elle ne peut pas les battre avec des gants de mousse. Il faut tuer son ennemi. La droite israélienne a tué Rabin et a gagné les élections ». (5)

Le délit de contestation de crimes contre l’humanité

En conceptualisant le délit de crimes contre l’humanité, la loi Gayssot a permis aux associations d’anciens déportés, aux associations anti-racistes de se porter partie civile. Les condamnations de Roger Garaudy, de Robert Faurisson, de Révision, d’Alain Guionnet, du Choc du Mois, de National Hebo, ont permis de freiner cette tentative de restauration de l’idéologie fasciste même si nous gardons à l’esprit que la bataille juridique n’est qu’un des aspects du combat nécessaire. L’efficacité de la loi a été fortement contestée par une partie de la droite, mais aussi par des secteurs de la gauche. Pour ces derniers, la loi Gayssot instaurerait une vérité officielle. Comme si le fait d’affirmer l’existence des chambres à gaz pouvait porter à discussion, et que sur cette question, en face d’une vérité « officielle », il y aurait une vérité « officieuse » !

Aucun historien n’a vu ses travaux entravés par cette loi, et il suffit de consulter la liste des ouvrages consacrés à l’étude des génocides perpétrés par les nazis pour constater qu’ils n’ont jamais été aussi divers et nombreux. D’autres prétendent que cette loi porterait atteinte à la liberté d’expression. Ce serait considérer que le racisme et l’antisémitisme font partie du champ des libres opinions alors qu’ils constituent justement des délits d’ordre public. Quant à l’argument selon lequel les rigueurs de la loi transformeraient les négationnistes en martyrs, son extension aux contrevenants à toutes les lois ferait de chaque ville un enfer ! Ce raisonnement aurait laissé libre cours aux propos raciaux de Catherine Mégret, aux débordements de haine de Le Pen lors de la campagne législative, à Mantes-la-Jolie.

-(4) Lorrain de Saint-Affrique, Dans l’ombre de Le Pen, Hachette Littérature.
 (5) Cité par l’Humanité, 28 mai 1998

D’ailleurs, le Front national n’a pas besoin de prétexte : l’un de ses fonds de commerce est le mythe victimaire, indissociable de sa vision du monde inscrite dans la théorie du complot.

Dans le Monde du 1er septembre 1998, c’est le linguiste américain Noam Chomsky qui apporte sa pierre à l’édifice.

Se définissant comme « libertaire », il se prononce en accord avec l’arrêt de la cour suprême des Etat Unis qui reconnaît au « Ku-Klux-Klan le droit à la liberté d’expression ». S’agissant du négationniste Robert Faurisson, il trouve « choquant » que l’Etat français punisse les « déviations par rapport à la vérité ». Il ne fait là que reproduire une position qui l’avait conduit, en 1980, à se porter garant du « non antisémitisme » de Faurisson et à préfacer un ouvrage dans lequel ce dernier affirmait : « les prétendues « chambres à gaz » hitlériennes et le prétendu « génocide » des Juifs forment un seul et même mensonge historique » (Mémoire en défense, La Vieille Taupe , 1980). Il est vrai que ce chercheur américain est aujourd’hui publié, en Italie, par la maison d’édition néo-fasciste Barbarossa, en compagnie du théoricien nazi Julius Evola, du négationniste Bernard Notin, des nostalgiques de la République mussolinienne de Salo, des terroristes bruns des années de plomb. Noam Chomsky fait donc partie de ces curieux libertaires qui pourfendent l’antifascisme depuis les tribunes mises à leur disposition par l’extrême droite, tant en France qu’en Italie.

Un peuple sans mémoire est un peuple sans défense

Contrairement à lui, nous ne pensons pas que le racisme fait partie du droit de libre opinion. C’est un délit que répriment les lois françaises, et nos voisins allemands, belges, suisses, disposent de textes encore plus répressifs que les nôtres. D’ailleurs, la Convention européenne des Droits de l’homme et le Comité des Droits de l’homme des Nations unies ont validé la conception de la loi Gayssot selon laquelle la contestation des crimes contre l’humanité et la propagande négationniste constituaient la forme moderne du racisme antisémite, soulignant même que « la négation de l’Holocauste était le principal vecteur de l’antisémitisme ».

Dissiper le brouillard autour de la loi Gayssot, c’est contribuer à faire la clarté sur la politique de l’extrême droite, c’est faciliter l’indispensable intervention des citoyens, leur donner des outils afin qu’ils pèsent sur les décisions.

Car l’Histoire ne cesse de nous rappeler qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans défense.

Qu’est-ce que la « Loi Gayssot ? »

Adoptée le 30 juin 1990 par l’Assemblée nationale, cette loi tend à « réprimer tout acte raciste, antisémite et xénophobe ». Elle faisait l’objet depuis deux ans d’une proposition de loi déposée par le groupe des députés communistes (le 15 juin 1988 exactement) dont le premier signataire était Jean-Claude Gayssot, alors député de Seine Saint Denis. D’où l’appellation « Loi Gayssot ».

Valère Staraselski
est l’auteur aux éditions Bérénice de Au nom de la loi, cosigné avec Didier Daeninckxet de
Voyage à Assise ,
Garder son âme ,
Culture pour tous, haute définition, ouvrage collectif , et aussi d’
Aragon, l’invention contre l’utopie .

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions du cherche midi de : La Fête de l’Humanité - 80 ans de solidarité avec Denis Cohen, Un siècle d’Humanité 1904-2004, avec Roland Leroy et Pierre Clavilier.

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions de L’Harmattan : de Face aux nouveaux maîtres , Il faut savoir désobéir , et aussi d’
Aragon, l’inclassable ,
Aragon, la liaison délibérée .