Valère Staraselski

1909-2009 Un siècle de Vie Ouvrière
Interview de François Duteil et Alain Guinot
CCAS infos - octobre 2009

Un siècle de Vie Ouvrière


Notre confrère de la presse sociale, la Nouvelle vie ouvrière (NVO), fête son centenaire. Nous avons rencontré deux acteurs qui marquent son existence : l’ancien et l’actuel directeur, François Duteil et Alain Guinot.

Que retenez-vous de ce siècle passé de Vie ouvrière ?

crédit photo D Delaine/CCAS

François Duteil : Le premier aspect c’est que la naissance de la VO suit la création du syndicalisme. La publication est née de la volonté d’aider les travailleurs à s’émanciper, et d’abord à agir. Les fondateurs de la VO parlaient d’une « coopérative intellectuelle », dans l’idée d’avoir un journal qui donne les éléments, qui décrive la situation et surtout analyse les causes de cette situation.
Le siècle est marqué par les guerres, les grandes conquêtes sociales de 36, 46, 68 dans lesquelles le journal joue un rôle crucial en portant les revendications des salariés. C’est un siècle à la fois d’espoir, de succès, un siècle d’illusions aussi. Et qui dit illusion dit désillusion. La Vie ouvrière aura traversé ce siècle en respectant sa raison d’être.

Alain Guinot : Le livre qui paraît à l’occasion du centenaire de notre journal souligne que la formidable histoire de la Vie ouvrière, c’est celle du syndicalisme français. La conscience de la nécessité de s’organiser n’a jamais été spontanée. Le journal a accompagné cette prise de conscience. Avec des moments comme ceux de la Résistance ou de l’essor du capitalisme durant les Trente Glorieuses, le journal a traversé des périodes bien différentes avec le même respect des valeurs de solidarité. On retrouve cette constante du refus de la mise en concurrence des salariés entre eux, de la recherche de l’unité de la classe ouvrière et du rapprochement entre ouvriers et techniciens. Avec la volonté d’être toujours en avance aussi... Des combats, comme ceux de l’émancipation des femmes, ceux en faveur de la jeunesse, du droit des immigrés, sont portés de manière militante par le syndicalisme au travers des pages de la Vie ouvrière.
L’autre grande constante est la place centrale accordée à la revendication : l’emploi, le temps de travail, le pouvoir d’achat, les retraites, la protection sociale. L’histoire du syndicalisme est donc l’expression d’une très grande modernité.

Justement, assiste-t-on à une évolution du syndicalisme ? Les luttes ne sont-elles pas en train de prendre le pas sur le politique ?

François Duteil : Au début du siècle, il y a eu débat. Le syndicat se suffit-il à lui-même ou y a-t-il besoin d’une action politique ? La Charte d’Amiens a tranché. D’abord à propos du respect de l’indépendance syndicale. Ensuite sur le rôle du syndicalisme : c’est en premier lieu la revendication mais c’est aussi les grands choix de société sans se substituer aux partis politiques. Aujourd’hui, il y a crise de la perspective politique. Il y a crise de l’offre politique, chez ceux qui devraient normalement proposer un programme qui reprenne les préoccupations des salariés. On pourrait avoir, alors, la tentation de se substituer aux partis politiques. Mais nous n’avons pas à écrire le programme politique. Par contre, à partir des revendications le syndicalisme peut poser les grands enjeux, qui permettent aux salariés d’opérer un choix politique.

Alain Guinot : Le rapport du syndicalisme à la politique est une question récurrente. C’est toutefois une question qui a fait son chemin, nourrie de l’expérience. Nous sommes arrivés aujourd’hui à une conception équilibrée, non encore définitivement aboutie. Le choix de l’indépendance syndicale s’est clairement affirmé. Les salariés font reposer la crédibilité du syndicalisme sur cette indépendance. Pour autant, indépendance ne veut pas dire indifférence. C’est donc toujours cet aller-retour entre indépendance et non indifférence qu’il s’agit de faire vivre. Avec les partis politiques, on peut se retrouver sur un même champ de transformation sociale, mais nous n’avons pas les mêmes missions.

Au regard de cette histoire, quel a été le rôle de la VO ?

François Duteil : Quand on regarde l’histoire du journal, on note qu’il joue un rôle de poil à gratter vis-à-vis du syndicalisme. Sur certaines questions, il l’interpelle directement. Il devance un petit peu la réflexion collective de l’organisation. J’ai en mémoire ce qui a trait au syndicalisme des PME-PMI et aux évolutions de l’industrie française, l’intégration idéologique, etc. C’est donc le journal de l’organisation, qui conserve sa propre autonomie, qui interpelle les salariés et qui donne à comprendre. Jean Jaurès disait : « donner à toutes les intelligences libres, le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »

Alain Guinot : Je reviens sur cette idée de coopérative intellectuelle défendue par les créateurs de la Vie ouvrière. Le monde ouvrier en général, le syndicalisme en particulier, est traversé par ce débat qui oppose l’intellectuel au pratique. Seule l’action, la réaction compte or l’analyse, la connaissance du monde sont des enjeux décisifs. Monmousseau disait : « les gens marchent avec leur tête. » Cette expression résume bien le fait qu’il faut faire appel à l’intelligence pour que l’action sociale soit efficace.

Et aujourd’hui la presse syndicale, et notamment la NVO, a-t-elle encore une place ?

Alain Guinot : La place du syndicalisme a besoin de grandir dans la société. Une telle ambition est inconcevable sans presse écrite, sans un journal qui puisse l’incarner. La CGT dispose de plusieurs outils d’information et de communication. Elle s’est dotée d’un mensuel de tous les syndiqués. Le besoin d’un journal qui soit selon les cas l’aiguillon, l’accompagnateur ou le porte-voix des luttes, des rassemblements et des exigences du monde du travail est indissociable de cette ambition. Je suis donc persuadé de l’avenir de la NVO sous une forme renouvelée.

François Duteil : S’il fallait se convaincre de l’utilité d’un tel journal, il suffirait de rappeler ce qu’indiquait Nicolas Sarkozy en avril 2007 dans le Figaro : « Depuis 2002, j’ai engagé un combat pour la maitrise du débat d’idées. (...) Au fond, j’ai fait mienne l’analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées. » La NVO est un moyen important pour participer à ce débat d’idées.
Deuxième remarque, elle concerne les nouvelles technologies : si Internet est un outil indispensable, il ne peut remplacer la presse écrite. Seul un journal, quelle que soit sa périodicité, possède le recul nécessaire à la réflexion, qui permette d’aboutir aux succès et à la transformation sociale. Plus que jamais, il y a une place pour la NVO, en pleine complémentarité avec d’autres formes de communication.

Alain Guinot : Qu’il s’agisse du choix entre le papier et l’Internet, de la périodicité ou de la forme, ce sont des questions importantes puisqu’un journal doit être lu. Il doit donc aller à la rencontre de ses lecteurs. Avec la NVO, nous sommes d’ailleurs en pleine évolution afin de relever ce défi, en nous appuyant à la fois sur le professionnalisme et sur le maillage du réseau des syndicats dans les entreprises. Notre objectif est de nous adresser à ceux qui font le syndicalisme d’aujourd’hui.

Propos recueillis par Philippe Poupard et Pierre Chaillan


1909-2009. Un siècle de “Vie ouvrière”

Un beau livre abordant l’histoire sociale, économique, politique et culturelle de 1909 à 2009, à travers cent ans de publication de la Vie ouvrière.
Cent ans de « version originale » sur le monde du travail en France et le monde, dans un journal fondé en 1909 par un groupe de syndicalistes, devenu l’une des principales publications du mouvement social français.
Un ouvrage exceptionnel comportant plus de 700 illustrations, photographies et témoignages, dont la photographie en couverture a été prise par le grand photographe humaniste récemment disparu, Willy Ronis.
1909-2009. Un siècle de “Vie ouvrière”. Valère Staraselski, Denis Cohen. Préface par B. Thibault. Éditions Le Cherche Midi.