Valère Staraselski

1909-2009 Un siècle de Vie Ouvrière
La Vie ouvrière - Rémi Boyer
septembre 2009

La Vie ouvrière

La Vie Ouvrière fête ses cent ans. Ce n’est pas seulement un événement dans le monde de la presse. En effet, très peu de journaux peuvent se dire centenaires. C’est un véritable événement social, politique et culturel que d’aucuns chercheront à minimiser car il rappelle par trop, en ces temps de crises et de mensonges éhontés, que depuis l’aube des temps, les prédateurs, qui aujourd’hui veulent mettre en coupe réglée la planète entière, ne cèdent du terrain que contraints et forcés.

En publiant au cherche-midi, sous le titre sobre 1909-2009. Un siècle de vie ouvrière, un bel ouvrage qui retrace les cent ans de La V.O., Denis Cohen et Valère Staraselski, témoignent des combats, non seulement de la CGT, mais de tout le mouvement syndicaliste et ouvrier.

La Vie Ouvrière est née, précise Bernard Thibault dans sa préface, « de la volonté du courant syndicaliste révolutionnaire au sein de la CGT ». La V.O. fut toutefois davantage que l’organe d’une tendance syndicale ou même de la CGT. Son tirage en fit un temps le premier hebdomadaire français, devant Paris-Match. C’était dans les années 60 alors que la société française préparait son émancipation. La Vie Ouvrière fut donc un acteur de la société française autant qu’un témoin de ses mutations profondes. L’hebdomadaire, avec lucidité, sut aller à contre courant des conformismes et éviter les compromissions faciles. Bernard Thibault raconte qu’ « Il sauva son honneur en suspendant sa parution à la veille de la Première Guerre mondiale quand tout sombrait dans l’Union sacrée, y compris la direction de la CGT d’alors. Il connut la clandestinité dans la France occupée, il fut un combattant incessant de l’unité syndicale et joua un rôle non négligeable dans l’avènement de la conception moderne du syndicalisme qui est la nôtre aujourd’hui. ».

Avec ce livre, Denis Cohen et Valère Straselski ne nous proposent pas un hommage basé exclusivement sur l’illustration, cadeau d’anniversaire nostalgique destiné à caler nos bibliothèques après avoir encombré les librairies comme le veut la mode éditoriale. Ils nous offrent un véritable texte, que l’iconographie vient appuyer avec justesse, sous la forme d’une chronique qui rend compte à la fois des événements marquants pour la société française, des luttes, victoires et défaites, des espoirs et des désespérances du mouvement syndical, et au-delà du peuple, comme de la vie interne de La Vie Ouvrière.

Ce qui frappe d’emblée, c’est l’accélération constante de l’histoire que met en perspective cette chronologie, le plus souvent en parallèle avec la montée en puissance de l’hebdomadaire. Cette reconstitution du passé, sorte de long travelling dans notre histoire récente, met aussi en évidence les temps où le monde politique a su entendre le peuple, et notamment le monde ouvrier, par nécessité le plus souvent, et les temps d’incompréhension, de distance, voire de mépris. Le lecteur attentif peut observer l’évolution de la société française par petite touche, la place des femmes, l’internationalisation des problématiques, l’intrusion de la télévision et les bouleversements qui en seront les conséquences en politique, les lentes et douloureuses conquêtes des travailleurs et les atteintes répétées et violentes contre les acquis ces dernières années...

Le travail énorme de lecture et de sélection des informations pertinentes effectué par les deux auteurs, constituant autant d’indices du changement génératif de notre monde, sert sans doute l’histoire et les historiens. Il génère surtout une pensée vivante, se nourrissant de la perspective offerte, qui ne se résout pas à renoncer à la liberté et à une humanité qui se réalise pleinement.
Plus qu’un « beau livre », ce qu’il est sans conteste, ce livre est un appel à l’intelligence, au combat, le mot n’est ni chimérique ni suranné, à la co-créativité entre tous ceux qui s’autorisent à rêver d’une vie où la solidarité, devenue un délit dans notre pays, la fraternité, l’égalité et toutes les valeurs que le XXème siècle sanglant a inscrit en réaction dans les outils juridiques internationaux en matière de droits des êtres humain, ne soient pas que des mots mouillés de larmes.
Aujourd’hui, La Vie Ouvrière, devenue L’Hebdo puis en 2001, La Nouvelle Vie Ouvrière, est, une fois de plus, à un tournant de son histoire pour, si possible, non pas accompagner mais anticiper et conduire, avec d’autres forces vives, les grandes mutations qui approchent.

Rémi Boyer

Retrouvez Valère Staraselski sur e-torpedo pour un entretien accordé à l’occasion de la sortie de ce livre