Valère Staraselski

1909-2009 Un siècle de Vie Ouvrière
Liberté Hebdo n° 883
6 au 12 novembre 2009

C’est à lire...

Un siècle de luttes

LA VIE OUVRIERE a été créée en 1909 (pour mémoire, le Congrès constitutif de la CGT s’était déroulé en 1895 à Limoges). La Vie ouvrière, qui commença par être une revue bi-mensuelle, fête aujourd’hui ses cent ans. Un ouvrage vient de paraître, réalisé par Valère Staraselski (que l’on connaît comme romancier et spécialiste d’Aragon à qui il a consacré trois ouvrages) et par Denis Cohen (qui fut dirigeant de la fédération CGT de l’énergie durant 14 ans) : Un siècle de Vie ouvrière.

C’est un bel album de 176 pages, de grand format, qui commence le 22 janvier 1909 par dresser le contexte qui aboutira à la création de la VO (le 5 octobre 1909) et qui se termine le 10 avril 2009 avec l’action des Caterpillar dans l’Isère (la séquestration d’une partie de la direction de l’entreprise). Deux pages viennent clore l’ouvrage avec quatre textes dans lesquels s’expriment des responsables historiques de la CGT, G. Seguy, L. Viannet, F. Duteil et A. Guinot : l’histoire ne s’arrête pas avec cet anniversaire car la lutte syndicale continue.

C’est une chronologie au jour le jour, ou presque, divisée en neuf périodes correspondant à l’Histoire et à l’histoire du syndicat et de son journal. Chaque double page se présente de la même façon : à gauche et à droite, la chronologie proprement dite et au centre, photographies, dessins tirés de la VO et encarts reprenant des extraits d’articles du journal. Tout est daté. Le lecteur reste étourdi par l’accumulation des faits et des dates qui repose sur un énorme travail de dépouillement des archives et des collections du journal. Il n’y a pas de place pour le commentaire : rien que des faits dans leur sécheresse et leur objectivité. Un exemple : à la date du 5 juillet 1972, on lit « Démission de J. Chaban-Delmas. P. Messmer le remplace au poste de premier ministre », à la date du 12, « Bombardement des digues nord-vietnamiennes : 15 millions d’hommes en danger de mort »... Le commentaire vient de la juxtaposition audacieuse du texte de la chronologie et de l’iconographie. Ainsi dans cette double page 122/123, le lecteur s’arrêtera sur cette photographie d’un enfant, sans doute vietnamien (VO du 16 août 1972) avec cette légende « Vietnam : visez les yeux ! »

Mais l’émotion saisit aussi le lecteur. Ainsi avec cette reproduction de la « une », censurée, de la VO du 21 septembre 1939 (en application des mesures du gouvernement Daladier). Ou encore, tout au long du chapitre Les VO de la nuit, consacré à la période 1940-1944 avec ces publications modestes, ronéotées, clandestines... (On peut lire à l’année 1941 : « Du 27 mai au 6 juin : grandes grèves de mineurs du Nord et Pas-de-Calais. 100 000 grévistes. Le 4 juin : numéro spécial : Les mineurs ont engagé la lutte... »). Et enfin, pour ne pas multiplier les citations, je finirai avec l’année 1948 : « Du 7 octobre au 29 novembre, grèves de dockers, des cheminots, dans les PTT et surtout des mineurs dont le gouvernement dénonce le caractère insurrectionnel. Interventions brutales de l’armée. (...) Face à l’agression de Jules Moch et forts de l’appui de toute la population, les mineurs défendent leur grève. » Tout est à lire, pour se souvenir...

L’illustration est intéressante à plus d’un titre. Par sa diversité d’abord : dessins, photographies, photo-montages, mini photo-romans, reportages photographiques légendés, histoires dessinées (Charles Debarge, L’insaisissable en 1951), strips (dès 1947 et même dès 1937 malgré le style)... Cependant les deux « auteurs » du livre ne manquent pas de reproduire des œuvres graphiques au contenu idéologique douteux : je pense à un dessin de Boris Etimov, « La Gestapo-Trotski » (VO du 28 août 1936)... La riposte au péril nazi ne faisait pas dans la dentelle et épousait sans nuances la position officielle de l’URSS. C’est que ce livre n’est pas une hagiographie : il rend compte honnêtement de l’histoire d’un siècle de lutte syndicale avec ses hauts et ses bas, ses errements parfois... Il y aurait encore bien des choses à relever. Je me limiterai à celle-ci : la richesse et la diversité des collaborations de dessinateurs. Impossible de les nommer tous, alors quelques noms : JP Chabrol (dont on oublie parfois qu’il fut dessinateur avant de devenir le romancier et le conteur que l’on sait) en 1953, B. Taslitzky en 1955, Solé (l’un des fondateurs de Fluide glacial) en 1979, Charb en 2004...

Un siècle de Vie ouvrière est donc aussi, par certains aspects, un livre d’histoire et, au-delà de la trace des luttes pour améliorer le sort des travailleurs, la preuve de la dimension culturelle de ce combat pour l’émancipation de la classe ouvrière. La couverture du livre n’en est que plus émouvante : une photographie de Willy Ronis, Filature (1951), Willy Ronis qui nous a quittés en septembre dernier...

Lucien WASSELIN

Denis Cohen et Valère Staraselski ;
« 1909-2009 ; un siècle de Vie ouvrière » publié aux éditions du cherche miidi, 176 pages, 30 €.