Valère Staraselski

1909-2009 Un siècle de Vie Ouvrière
Michel Noblecourt - Le Monde
18 septembre 2009

Souvent les ouvrages commémoratifs sont rébarbatifs. Il n’en est rien avec le très beau livre Un siècle de Vie ouvrière qui arbore, en couverture, une photo de Willy Ronis, qui vient de disparaître.

La VO 22 Juin 1939

C’est du bel ouvrage ! Avec 700 illustrations, d’innombrables "unes", une multitude d’instantanés qui parlent autant de vie syndicale que de vie quotidienne, des éclairages de l’historien Michel Dreyfus, il offre ce qu’Alain Guinot, directeur de la NVO, appelle "un condensé de l’histoire de la CGT". Et quelle histoire !

Le 5 octobre 1909, quand le syndicaliste révolutionnaire Pierre Monatte fonde La Vie ouvrière, le bimensuel veut "donner à l’ouvrier la science de son malheur". Comme le note Bernard Thibault dans sa préface, même s’il "fut un combattant incessant de l’unité syndicale", c’est alors le journal d’une tendance. Après la scission de 1921, la "VO" devient même le journal de la CGT-U et fait écho à ses colères.

Pendant plus d’un demi-siècle, la "VO" manie le parler dru des syndicalistes révolutionnaires. Les exemples fourmillent. "Tous nous proclamons nettement antiparlementaires" (1909). "Le mouvement révolutionnaire peut avoir des syncopes, il ne meurt jamais" (1924). "L’enfant d’Octobre" (1917) a 11 ans, "c’est lui qui délivrera la terre de la vermine capitaliste" (1928). C’est l’époque où la CGT-U veut "travailler en accord étroit avec le Parti communiste, seul parti du prolétariat de la lutte des classes révolutionnaires". L’ouvrage présente des pages poignantes sur les combats des "VO de la nuit", dans la clandestinité de la guerre.

Lors de la scission de 1947, qui donna naissance à FO, la "VO" proclame que "la CGT est un bloc sur lequel on se casse les reins". Longtemps, la langue de bois fait florès, mais il y a de l’humour (parfois involontaire) entre les lignes. En 1913, Monatte récuse une collaboratrice "simplement féministe, sans le moindre grain d’esprit ouvrier". En 1957, la "VO" doit rectifier un texte officiel qu’elle a écorné, en précisant que le rédacteur a fait l’objet d’une "sanction sévère". En 1962, elle assure qu’"on travaille plus et on gagne moins"... En 1963, elle remercie Johnny Hallyday, qui a remis une "belle enveloppe" à des mineurs en grève.

Discret sur le congrès de 1978, celui d’une ouverture qui tourna court, le livre démontre que la "VO" a anticipé des évolutions du syndicalisme, en ouvrant les fenêtres sur la société. Journal officiel de la CGT, elle a su aussi s’évader pour jouer un rôle de capteur.

1909-2009. UN SIÈCLE DE "VIE OUVRIÈRE" de Denis Cohen et Valère Staraselski. Publié aux éditions du cherche midi, 176 p., 30 €.
Article paru dans l’édition du 18.09.09.

Michel Noblecourt

Source Le Monde du 17-09-2009