Valère Staraselski

La Fête de l’Humanité, 80 ans de solidarité
Interview - 2010

Valère Staraselski
La Fête de l’Humanité, 80 ans de solidarité, préface de Patrick Le Hyaric, publié aux éditions du cherche midi, 2010

Maurice Béjart : La Fête de l’Humanité est l’une des dernières en France à rassembler les gens sur une idée et redonnera au mot collectivité son sens le plus vivant .

Lancée en 1930 en réponse à l’appel de Marcel Cachin pour sauver le journal du même nom, la fête de l’Humanité est devenue un événement incontournable, inscrit dans le patrimoine politique et culturel de la France. L’auteur analyse les raisons de ce succès, à travers les témoignages d’anonymes et de célébrités qui y ont participé.
Chaque année, la Fête de l’Humanité ouvre ses portes à un public toujours très nombreux. Tout commence en 1930 par une tentative du pouvoir politique de liquider le journal l’Humanité en lui coupant les vivres. En réponse à un appel de Marcel Cachin, 150 comités de défense de l’Humanité se forment et se réunissent en congrès à Bezons.
La fête qui s’y tient signe l’acte de naissance des Fêtes de l’Humanité. Depuis, la Fête de l’Humanité est devenue partie intégrante du patrimoine national.
Les anonymes, militants, artistes, personnalités politiques, chacun à sa manière, façonnent son originalité et en assurent le succès. Jacques Prévert, Charles Trenet, Jean Ferrat, Leny Escudero, Yves Saint Laurent, Picasso, Edmonde Charles-Roux, Nadine Gordimer, Youri Gagarine, Jean-Loup Chrétien, Eddy Merckx, Raymond Poulidor, Johnny Hallyday, les Who, Jacques Brel, Manu Chao, Sapho, Juliette Gréco... la liste serait trop longue.
Retenons le témoignage de Maurice Béjart : « La Fête de l’Humanité est l’une des dernières en France à rassembler les gens sur une idée et redonnera au mot « collectivité » son sens le plus vivant ». Ou encore celui de Raymond Devos ; « Mais la Fête de l’Huma - c’est pas du tout par complaisance que je dis cela -, elle m’a toujours subjugué. Elle est à la fois gigantesque et elle est l’esprit même de ce qu’est, pour moi, une fête. »
La diversité des témoignages écrits et photographiques qui composent ce beau livre en atteste.

Interview de Valère Staraselsky, l’auteur

Depuis sa création en 1930, elle irrigue le débat politique, au point d’être devenue une fête républicaine, sans équivalent en France, nous explique Valère Staraselski. Journaliste et écrivain, il signe « la Fête de l’Humanité, 80 ans de solidarité ». Nous lui avons demandé comment cette fête s’est inscrite dans une tradition populaire.

Humanité Dimanche. Est-ce qu’il s’agit du premier livre retraçant l’histoire de la Fête de l’Humanité ?

Valère Staraselski. Il existait déjà deux ouvrages. Un cosigné par Noëlle Gérôme et Danielle Tartakowsky, qui n’était pas vraiment chronologique mais plutôt thématique jusqu’à la Fête de 1986. Le second, plus personnel et signé par Catherine Claude, s’arrêtait en 1977. Depuis 1986, il n’y avait rien.

HD. Qu’y a-t-il de nouveau donc, avec vos recherches ? Qu’avez-vous découvert ?

V.S. Pour ma part, j’ai préféré présenter l’histoire de la Fête de façon chronologique, et plus exhaustive du point de vue des spectacles, des artistes, des expositions, des discours politiques... Ce n’est pas un catalogue, mais c’est la première fois que l’on présente ces aspects de manière systématique. Par rapport à 1986, la grande nouveauté c’est quand même la disparition de l’Union soviétique. Ensuite j’avais un a priori avant de commencer les recherches. Pour moi, la Fête perdait en fréquentation, elle devenait de plus en plus petite. En fait, ce n’est absolument pas le cas. La Fête de l’Huma est vraiment increvable. Elle revient chaque année, comme les vendanges. Quelquefois, la fréquentation a pu baisser, ou au contraire grimper jusqu’à 1 million d’entrées dans les années d’après-guerre. Mais globalement, et encore l’an dernier avec 600 000 personnes, la fréquentation reste la même.


HD. Vous avez fait le choix de raconter cette histoire au travers de périodes historiques... Pourquoi ?

V.S. L’ouvrage est effectivement découpé en cinq grandes périodes de l’histoire nationale et internationale, qui se reflètent complètement à l’intérieur de la Fête. De « L’esprit du Front populaire » de 1930 à 1949 au « Rassemblement de la gauche sociale et politique » dans la dernière décennie, en passant par « L’union des forces de gauche » de 1971 à 1989, toutes ces grandes se manifestent dans les mots d’ordre, dans les débats. De plus, on retrouve une constante, très forte à partir des années 1970 : la Fête est un grand lieu de débat, de pluralisme, qui irrigue le débat politique. En France, il n’y a pas d’équivalent. En ce sens, elle est aussi une grande fête républicaine. Elle appartient au patrimoine national, si bien qu’il faut y avoir été au moins une fois dans sa vie.
« La Fête de l’Humanité est vraiment increvable et elle n’a jamais cessé d’irriguer le débat politique. Son succès est l’incarnation de cette affirmation que le peuple existe. »

HD. Comment passe-t-on de la première Fête, destinée à sauver le journal, à sa pérennisation ?

V.S. « L’Humanité » est toujours en lutte pour sa survie. Les moments où le journal est tranquille sont rares. En même temps, la Fête de l’Huma a succédé à toutes les fêtes qui existaient dans le monde ouvrier. Toute cette tradition qui existait chez les ouvriers et qui consistait à faire des fêtes pour se retrouver le dimanche s’est retrouvée condensée à la Fête de l’Huma. Le lancement et la pérennisation de la Fête correspondaient également à une volonté d’organisation de la part du PCF au moment où il s’est bolchévisé. C’est la fête du journal, mais elle ne l’est plus aujourd’hui. Dans les années 1960 et 1970 par exemple, on organise des concours d’adhésion au Parti et aux Jeunesses communistes. C’est-à-dire qu’il y a un couplage entre les deux. En 1934-1935, le fil rouge politique de la Fête, c’est vraiment l’union. C’est le lieu où l’on peut se rencontrer, discuter, échanger. C’est vraiment la fête du peuple, comme il y en avait déjà au Moyen-Âge. Elle relie les gens entre eux. Quand on y entre, les codes ne sont plus les mêmes qu’à l’extérieur. Avant, même... Dans le train, dans le bus qui mènent à la Fête, il y a clairement une attitude de fraternité.

HD. C’est toujours valable aujourd’hui ?

V.S. Je trouve, oui. Le brassage est toujours là, c’est toujours la fête du peuple. Il n’y a qu’à regarder la couverture qu’en font les autres grands titres de presse, du « Monde » au « Figaro ». C’est toujours ce brassage sociologique des gens qui en ressort, mais avec une dominante populaire. Malgré le déclin du PCF, d’ailleurs. Et, quelque part, le succès chaque année confirmé de cette fête est l’incarnation de cette affirmation que le peuple existe. C’est tout le peuple qui y vient, et pas seulement le peuple communiste.


HD. Hier comme aujourd’hui, quand on participe à cette fête, est-ce que ça change quelque chose ?

V.S. On en ressort optimiste. Dans mes recherches, une photo m’a marqué. On y voit le stand du PCF de Gentilly, fermé en fin de soirée, décoré avec la faucille et le marteau, et une phrase d’Hemingway : « Le monde est un endroit magnifique pour lequel il vaut la peine de se battre. » C’est une affirmation de la vie... Quand on a participé à la Fête, en général, on en repart regonflé. On se rend compte qu’il y a des milliers de gens qui, comme soi-même, essaient de trouver des solutions aux problèmes du pays et du monde. Ou, pour le moins, ça donne envie d’agir.

Entretien réalisé par DIEGO CHAUVET
dchauvet@humadimanche.fr

VALERE STARASELSKI, ECRIVAIN ET MILITANT

Né en 1957, Valère Staraselski est docteur ès en lettres, journaliste et écrivain. Il est notamment l’auteur d’une biographie de Louis Aragon, « Aragon, la liaison délibérée ». Il a également signé deux romans parus au cherche midi, « Une histoire française » et « Nuit d’hiver », en 2006 et 2008. Valère Staraselski est également membre du conseil scientifique de la Fondation Gabriel-Péri, du comité d’honneur de la Société des amis d’Aragon et Elsa Triolet et cofondateur de la revue en ligne lafauteadiderot.net.