Valère Staraselski

La revanche de Michel-Ange suivi de Vivre intensément repose
Giovanni Merloni - Le Portrait inconscient - 25 novembre 2019

Valère Staraselski, La Revanche de Michel-Ange, suivi par Vivre intensément repose

Après une longue et bienheureuse série de romans « engagés », porteurs de poignants témoignages et d’utopies positives, Valère Staraselski nous livre aujourd’hui, avec La Revanche de Michel-Ange, suivi par Vivre intensément repose, un recueil de nouvelles aboutissant dans son ensemble à une sorte de roman autobiographique.

En fait, avec ces nouvelles, Valère Staraselski se montre disponible à partager avec le lecteur quelques bribes des expériences et souffrances qu’il a endurées ; à lui confier comment, après des années de travail incessant, ses déchirures se sont estompées en des sentiments d’apaisement et de confiance, devant l’évidence de la vocation à l’écriture ; la satisfaction de voir celle-ci respectée et reconnue ; l’importance de l’engagement politique et idéal ; l’impératif moral, qui en découle, de transmettre, aux nouvelles générations surtout, ce que l’Histoire nous apprend, notamment à travers son immense patrimoine de luttes et de conquêtes sociales et culturelles.

Tout cela est bien exprimé dans l’une de ses nouvelles : Vivre intensément repose, donnant l’un de deux titres au recueil : « ...je suis un lowbrow [nous dit Valère Staraselski en citant Virginia Woolf], autrement dit quelqu’un qui n’a pas d’autre choix - comme aimaient à le répéter les Américains dans leurs films des années cinquante - que de travailler dur... Oui, j’aime la littérature ! Oui, j’aime le monde ! Seulement, étant comme la majorité, depuis le collège, dans l’obligation de travailler sans cesse, je me suis fait une raison en même temps qu’une devise : vivre intensément repose !

Quelle autre réponse que celle-ci : un lowbrow est-il en mesure d’apporter à la grande dépossession de la vie ! Depuis toujours, pour les lowbrows, vivre intensément repose... »

Le titre de cette nouvelle — évoquant en moi deux exemples italiens tout à fait opposés :« Travailler fatigue » du poète Cesare Pavese et « Je voulus, je voulus toujours, avec toutes mes forces je voulus » du dramaturge Vittorio Alfieri — aurait sans doute représenté tout seul l’ensemble des nouvelles publiées, s’il n’y avait pas eu la nécessité d’une ouverture, d’un changement de vitesse, voire de la prise de conscience de nouveaux horizons. Dans La revanche de Michel-Ange, Staraselski, représenté par son avatar quadragénaire Philippe Mariani, s’accorde une pause. Sans démordre de son défi existentiel d’écrivain engagé, Philippe part à Venise pour se nourrir d’une beauté hors du temps et de tous les contextes possibles. Ici, pour une fois, sa vie et ses nécessités personnelles sont mises entre parenthèses, pour mettre en valeur le sujet de l’art et notamment du destin de l’artiste dans la société.

Telles deux quilles plantées entre le parvis et les marches de l’église de Santa Maria della Pietà, Philippe et son camarade, le photographe Charles Dolnay, ne voient pas le temps qui passe ni le froid brumeux de novembre les pénétrer jusqu’aux os, car ils « doivent » atteindre le bout d’une discussion qui les regarde intimement : « Le privilège de l’artiste repose intrinsèquement sur des devoirs !... Croyez-m’en, Michel-Ange ne bénéficia pas que des avantages, il eut, tout Michel-Ange qu’il était, à supporter de sérieux inconvénients, à subir bien des avanies qui prouvaient à chaque instant le faire choir de sa situation. Et je dis bien à chaque instant !... Et si Michel-Ange eut beaucoup à subir des papes et des commanditaires, je l’ai dit, il fut bien sûr immanquablement et férocement jalousé par les autres artistes et bien évidemment gêné, importuné par des éminences de tous rangs. »

Cependant, Michel-Ange trouvait toujours la façon de se faire respecter, protégeant son oeuvre, comme il arriva lors des fresques à la Cappella Sistina, où le maître des cérémonies Biagio da Cesena « fut contraint à goûter, bien contre son gré, à la revanche de Michel-Ange ! Revanche que — sûr de son bon droit — il n’avait pas une seule fois envisagée. Non, décidément, il n’est au pouvoir de personne, à moins d’user de l’assassinat, de réduire un artiste au silence... »

« Il n’est au pouvoir de personne... de réduire un artiste au silence... » : voilà le message primordial que Valère Staraselski nous confie avec esprit ferme et serein. Je vois dans cette affirmation un important aboutissement dans le parcours humain et intellectuel de cet auteur courageux qui a su se dépasser au fur et à mesure de son affranchissement de nombreuses contraintes matérielles et existentielles qui ont inévitablement forgé son destin. Et maintenant, par le biais de ces nouvelles — de véritables perles de beauté littéraire — se regroupant autour de deux titres que je viens de citer, nous avons la chance d’être conviés sur le chemin que Valère Staraselski a parcouru pendant des années et qu’il nous raconte, à travers une bouleversante polyphonie de voix venant de son vécu personnel et du monde qui « l’a vu naître », voire se former cette splendide identité d’écrivain qu’on lui connaît.

Ce n’est pas la première fois que Staraselski ouvre discrètement une fenêtre sur son propre personnage. Il l’avait déjà fait, de façon presque subliminale, dans plusieurs de ses textes, tels Dans la folie d’une colère très juste, Un homme inutile, Nuit d’hiver et Sur les toits d’Innsbruck. Cependant, il me semble que cette fois-ci, avec les douze nouvelles qui viennent d’être publiées, Staraselski fait un pas en avant plus explicite dans la direction d’une représentation à la fois organique et sincère de son parcours d’homme et d’écrivain, choisissant justement les années de sa vie les plus significatives pour cette représentation.

Peut-être, suis-je influencé par quelques-unes de mes lectures fétiches, comme l’étonnant Vivre pour la raconter de Gabriel Garcia Marquez ou alors les incontournables Rêveries du Promeneur solitaire. Mais les personnages de Valère Staraselski, tout comme l’immense Jean-Jacques, ne se rapprochent-ils pas d’infatigables promeneurs solitaires, des amants de la nature, des êtres à l’esprit inquiet, des hommes exigeants avec eux-mêmes qui ne cessent de travailler autour de la « véritable raison des choses » et du sens ultime de notre destin d’hommes et de citoyens ?

N’y a-t-il pas aussi, en ces personnages, comme dans le roman du grand Colombien, la conscience de vivre ou du moins d’avoir vécu leur vie, avec toutes ses joies et contrariétés, justement pour pouvoir un jour la raconter ?

Giovanni Merloni