Valère Staraselski

Le Maître du jardin, dans les pas de La Fontaine
Serge Hartmann - Les Dernières Nouvelles d’Alsace
28 Août 2011

Valère Staraselski Dans les âges de La Fontaine

En quatre saisons, qui sont celles de la vie, Valère Staraselski campe le portrait de Jean de La Fontaine, en fabuliste un peu rêveur, mais aussi en conteur licencieux reniant son œuvre alors que la mort frappe à sa porte. Évocation elliptique que rattrape une écriture inspirée.
Lorsqu’il fut procédé à la toilette mortuaire de Jean de La Fontaine, on retrouva sur ce corps fatigué d’un vieillard de 73 ans, le cilice du pénitent. Ainsi tentait-il vraisemblablement de se racheter d’avoir écrit ses contes licencieux qui circulaient alors sous le manteau, et de nos jours bien moins célèbres que ses fables récitées par des générations d’écoliers.
Déjà, deux ans avant qu’il ne s’éteigne, le 12 février 1693, alors qu’on le croyait mourant et qu’on lui administrait le viatique, La Fontaine condamnait officiellement, devant une délégation de l’Académie française menée parRacine et Boileau, son « livre de contes infâmes ». « Je voudrais que cet ouvrage ne fût jamais sorti de ma plume et qu’il fût en mon pouvoir de le supprimer entièrement », dira-t-il, s’engageant désormais à « n’employer le talent de poésie qu’à la composition d’ouvrages de piété ».

Un jeune abbé, vicaire de Saint-Roch, maniant avec dextérité la menace des flammes de l’enfer, avait opéré cette conversion de l’un des esprits les plus libres de son temps, observateur amusé du petit théâtre de l’humain décliné sur le mode animalier, quand il ne s’amusait pas des travers de ses contemporains dans ces contes et nouvelles, à l’écriture leste, que s’empressera d’interdire le lieutenant général de police.

Madame de La Sablière et François de Maucroix

Faut-il voir dans ce reniement la marque d’un temps, celui du début de la fin du règne de Louis XIV, sous nette influence du parti dévot ? Il apparaît en tout cas sincère sous la plume de Valère Staraselski, qui consacre un chapitre entier au crépuscule du célèbre fabuliste
Il serait abusif de considérer son récit, Le Maître du jardin, comme une biographie de Jean de La Fontaine, bien qu’on n’en soit pas loin. L’auteur aborde en effet la trajectoire du plus célèbre des fabulistes français à travers quatre « saisons », qui seraient quatre âges de sa vie.

Ainsi le voit-on, jeune auteur de 32 ans, cheminer aux côtés d’un Turenne allant combattre les troupes du duc de Lorraine du côté deChâteau-Thierry, la ville natale de La Fontaine. Plus tard, à 47 ans, il est déjà devenu le fabuliste que certains révèrent et que d’autres méprisent, considérant le genre comme mineur - un Boileau, dans son Art poétique oubliera La Fontaine. À 59 ans, à cette époque, un homme est déjà à l’automne de sa vie. La Fontaine n’est pas encore membre de l’Académie (il lui faut attendre 1684 et le bon vouloir du roi). Dans le besoin, il doit à Madame de La Sablière, la femme adorée, d’avoir un toit. Enfin, l‘hiver offre l’occasion de mettre en lumière l’amitié très forte, longue de cinq décennies, qui lie La Fontaine au poète et traducteur François de Maucroix.

« Jean s’en alla comme il était venu... »

Ainsi le lecteur chemine-t-il dans ce jardin du Grand Siècle français. Élégance et rudesse y alternent, dans une époque en puissants contrastes. Une sorte de carottage dont les éléments extraits, et remarquablement écrits par Staraselski, offrent au final un portrait assez juste de l’illustre Jean de La Fontaine en dépit d’une narration elliptique.

S’y révèlent ainsi un rêveur tenant pourtant sa place dans les lettres de son temps, un moraliste à la lucidité acérée - qui ose écrire, à l’ombre d’une monarchie qu’on sait absolue, « Hélas ! on voit que de tout temps/Les petits ont pâti des sottises des grands » -, un dramaturge raté s’ennuyant à ses propres créations, mais aussi un auteur fidèle à son mécène - il sera l’un des rares à implorer la clémence du roi lors de l’arrestation de Fouquet alors abandonné de tous.

Et puis, au-delà de son œuvre qui plaide pour lui, comment ne pas trouver attachant l’auteur de sa propre épitaphe, ainsi rédigée : « J ean s’en alla comme il était venu,/ Mangeant son fonds après son revenu,/ Croyant le bien chose peu nécessaire./ Quant à son temps bien sut le dispenser,/ Deux parts [il] en fit, dont il voulait passer,/ L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire. »

Serge Hartmann

[Le Maître du jardin, dans les pas de La Fontaine192 pages, publié aux éditions du cherche midi 15 €]