Valère Staraselski

Nuit d’hiver
Au coeur des trente glorieuses - Luc Vigier
L’Humanité - 23 octobre 2008

L’Humanité
DU 23 Octobre 2008

mémoire . Une jeunesse douloureuse dans les années soixante, lointaines et proches.

NUIT D’HIVER

L’écriture de Valère Staraselski fait mouvement. Sans doute est-ce parce que Nuit d’hiver, son cinquième roman, après Dans la folie d’une colère très juste, (1990), Un homme inutile (1998), Monsieur le député (2002) et Une histoire française (2006), ouvre des fenêtres soudaines sur des souvenirs d’enfance particulièrement sensibles et violents. La remontée vers les traumatismes, les douleurs, les acides d’une affection qui sera toujours refusée se fait justement au cours d’un déplacement, laborieux, frigorifiant, celui d’un grand pianiste qui prend étrangement cet « autocar » Paris-Prague, plutôt réservé, ordinairement, aux étudiants peu fortunés.

Le but de ce voyage a en réalité peu d’importance, sinon peut-être le sens que donne à cette âme écrabouillée la perspective d’une sublimation par la musique. Ce qui compte ici, et qui se sent physiquement à la lecture, ce sont les pauses, les stations d’une forme de martyre intérieur : chaque étape de cet omnibus, chaque bouffée d’air provoquée par les arrêts du chauffeur, chaque changement d’éclairage (ce rythme est sans doute ce qui est le plus romanesque dans ce roman) déclenche d’implacables images, rudes, directes, d’où s’élève, vécue à la première personne, l’idée même de la cruauté.

Celle d’abord des enfants. Parce qu’il ne peut détacher de sa chair le souvenir de son accueil chez son oncle et sa tante après la séparation de ses parents (l’ombre de la folie maternelle plane, projetant à l’arrière-plan la figure tragique d’une mère elle aussi abandonnée), Joseph Esperandieu ne peut interrompre les flots d’images qui lui remontent à la gorge et qui se concentrent autour de Willy, son cousin, figure même de la haine à l’état pur, bourreau régulier d’un garçon qui est son contraire exact. Celle de Sournoise ensuite, sa tante, descendante littéraire de la Folcoche de Bazin, incohérente, terrifiante, destructrice, folle assurément, consciemment, incarnation de la rage.

Ainsi hanté, le récit, construit par vagues successives, prélève à pleines brassées dans l’enfance les étapes du supplice, de la solitude, de la honte, reconstituant les fondations saignantes de l’adulte. La quatrième de couverture évoque la nostalgie, la tendresse. Je ne vois pas. Ou alors c’est qu’on estime que la Guerre des boutons, de Pergaud, est un roman tendre, ou encore que le Requiem des innocents, de Louis Calaferte, baigne dans la douceur de vivre.

Mais si je dis que l’écriture de Valère Staraselski bouge sur ses bases, c’est que j’y lis une volonté de saisir de manière beaucoup plus compacte les instants décisifs d’un psychisme, d’une personnalité, d’un caractère.

Si l’écriture à mon sens bouge sur ses bases, c’est que l’espace mental de l’enfance revisité par l’adulte musicien offre des aperçus cinglants.

Ainsi suit-on Joseph, dont le nom dissimule mal en réalité un espoir placé d’abord dans les forces profondes de l’homme de chutes en coups et d’effacements en affirmations, par la littérature, puis par le piano, dont l’apprentissage nous est cependant masqué. Le monde social qui entoure ce garçon trop tôt vieilli apparaît dans tout son déséquilibre et nous retrouvons la tonalité « roman à thèses » des oeuvres précédentes : « Ah les héritiers, ils en sont persuadés, parlent d’un lieu qui ne peut se nommer qu’évidence. » Désormais, la vérité du monde sera ressentie loin des évidences théoriques à l’aune de cette « tension constitutive ».

Cette tension qui anime la plume de Staraselski et qui devrait aussi, bientôt, la libérer.

 Luc Vigier

Nuit d’hiver, de Valère Staraselski publié aux éditions du cherche midi, 336 pages, 16 euros.