Valère Staraselski

Nuit d’hiver
La nuit s’estompe par Lucien Wasselin
La Tribune de la Région Minière - octobre 2008

Joseph Esperandieu s’apprête à partir en bus pour une semaine de vacances à Prague quand sa cousine lui annonce, sur son téléphone portable, la mort de sa mère, à elle, qui a élevé Joseph. Il n’ira pas à l’enterrement et part pour Prague. Ce voyage dans la nuit va être l’occasion d’une longue méditation entrecoupée de rêves et de cauchemars...

Une sorte de soliloque étrange qui se déroule sous la plume de Valère Staraselski... Où l’enfance, vécue auprès de cette tante pas très aimante, va remonter à la surface.

Souvenirs d’une enfance en butte à diverses violences, au manque d’amour de cette tante quand elle l’a recueilli lors de l’internement psychiatrique de sa mère, à lui...Histoire complexe d’une famille ordinaire, traversée par ses contradictions, mais aussi souvenirs de la vie de ce temps, les années soixante... "Ça défile au-dessus de lui les souvenirs, les émotions à toute vitesse. Ça s’agite, ça s’affole, coeur et esprit sont en effervescence. Les remous d’un torrent."

Ce roman, Nuit d’hiver,le cinquième de Valère Staraselski, est un long flux de mots.

On passe du présent au passé, d’un moment dans le bus ou d’introspection, à un souvenir particulier ou à une scène des années d’enfance. Sans transition. D’une observation de la route qui défile à un rêve...

Les phrases sont courtes souvent, sèches, nettes : elles visent à l’essentiel. L’enfance de Joseph Esperandieu ne fut pas facile. Le père a abandonné le foyer familial, la mère est devenue "folle", comme on dit. Joseph est donc recueilli, avec sa soeur Marjolaine, par la famille Rigal,pour des motifs qui n’ont rien à voir avec l’amour ou l’affection. Jacqueline Rigal, la soeur de sa mère, surnommée Sournoise, est un monstre de sécheresse et de méchanceté, Roland, son mari, un alcoolique,est plus complexe. La jeunesse de Joseph se passe donc dans un milieu qui n’a rien d’épanouissant.

C’est l’occasion pour Valère Staraselski de noter les petits détails de la vie dans un milieu humble des années soixante : le clapier et ses lapins, l’herbe que le petit Joseph va cueillir pour nourrir les lapins, le poulailler, le jardin où il est employé à de menues besognes peu gratifiantes l’économie domestique est une nécessité pour survivre, l’hiver et le froid dans la maison, la cuisine et son feu au charbon qui chauffe la maison, ses habitants et le linge qui sèche au-dessus de la cuisinière,les bonbons qu’on achète à l’épicerie ou à la boulangerie avec une petite pièce, les chanteurs de l’époque... C’est tout le tableau d’un temps qui s’est éloigné,qui a fini par sombrer dans l’oubli et que ceux nés après 1970 ignorent totalement.

Il y a là un intérêt sociologique évident.

Mais l’intérêt de ce roman est aussi dans la description pointilleuse et intimiste de la construction de l’identité du petit Joseph dans ce milieu hostile où sa principale occupation est de se protéger des coups de sa tante, des brimades de son cousin Willy, des vexations et des humiliations quotidiennes, de lutter contre le danger d’une intériorisation d’une prétendue infériorité...

L’enfant "abandonné", mal aimé ’ va peu à peu se forger une personnalité complexe, découvrir la musique (Bach) et devenir pianiste par un de ces hasards incompréhensibles...

Le lecteur saisit comment se construit cette personnalité par la succession des souvenirs qu’agence Valère Staraselski : souvenirs parfois insignifiants aux yeux de ce lecteur "Ou bien il est dehors, adossé à un pommier, non loin des papillons qui virevoltent et se poursuivent jusqu’au soir au-dessus des framboisiers." mais qui reconstituent le fil d’une vie. Ces souvenirs se mêlent à des commentaires sans qu’on sache trop s’il s’agit de ce que pense Joseph Esperandieu à ce moment-là ou aujourd’hui le sens qu’il donnerait, adulte, à ce qu’il a vécu alors ou des commentaires de l’auteur qui proposerait ainsi du sens tout en brossant à petites touches l’individualité complexe de Joseph. Et les moments d’éveil de Joseph Esperandieu tout au long de ce voyage nocturne qui le conduit à Prague permettent d’apercevoir des fragments de réel à travers les vitres du car : une femme, les panneaux indicateurs qui témoignent de l’avancée du véhicule vers son but... Tout l’art de Valère Staraselski est dans ce montage nerveux. Cette lente progression de Joseph vers sa personnalité et son avenir ne se résume pas : il faut la lire, au rythme qu’imposent le voyage dans la nuit et la prose de Staraselski...

Dans cette famille, le seul être qui manifeste une certaine tendresse (bourrue) à l’égard de Joseph, c’est l’oncle qui lui sert de père adoptif. Ce qui donne à lire de belles pages à la fin du roman, de belles pages pleines de retenue et de pudeur. Et, ce n’est sans doute pas neutre,Valère Staraselski poursuit le souvenir heureux d’un moment rare par un parallèle avec le compositeur de l’air de piano qui hante Joseph à cet instant précis du voyage vers Prague : Carl Philipp Emanuel Bach, le fils mal aimé...Et le tableau d’Adolf Kosàrek,Une nuit d’hiver,que Joseph Esperandieu va aller contempler à la Galerie Nationale,dès son arrivée à Prague,est comme la métaphore de la jeunesse de Joseph:la recherche d’une famille dans le froid et le dénuement.

L’homme n’est jamais vaincu même s’il peut être détruit.

Joseph Esperandieu n’a pas été vaincu par l’adversité : il a fini par retrouver une famille au bout de la nuit d’hiver que fut son enfance, une famille qu’il voit dans le tableau de Kosàrek :"... la troupe humaine envahissant le tableau qui est comme figée par le froid. .... il plaît à Joseph d’y voir, d’imaginer une famille..."

Ce voyage dans la nuit vers Prague prend ainsi avec la fin du roman toute sa dimension allégorique. Mort de la "mère" adoptive et voyage vers une toile justement intitulée Une nuit d’hiver qui donne son titre au roman.

La nuit d’hiver est ainsi l’enfance qui se termine par la mort de celle qui ne fut qu’une marâtre et il n’est pas sans importance que la toile de Kosàrek soit lue par Joseph Esperandieu comme l’espoir d’une famille. La famille que Joseph a enfin trouvé doublement : ses parents naturels, sa soeur aînée... et l’art.

 http://www.printempsdespoetes.com/index.php?url=poetheque/poetes_fiche.php&cle=282
La Tribune de la Région Minière 3309 p.4

Valère STARASELSKI
Nuit d’hiver
Le Cherche-Midi éditeur
336 pages
16 euros
En librairie