Valère Staraselski

Nuit d’hiver
Rémi Boyer - Le Patriote
12 septembre 2008

Le très beau livre deValère Staraselski sorti en fin d’été est d’une grande sensibilité et parle d’un passé toujours vivant.
L’auteur sera présent à la fête de l’Huma durant le week-end.

Il est parfois intéressant de regarder les mutations actuelles à travers le prisme des mutations passées, non que l’histoire se répète mais parce que le bouleversement des valeurs, des croyances et des expériences intimes, quelles qu’en soient les formes et les violences, véhicule toujours une même charge traumatique et une même opportunité créatrice chez ceux qui en sont les acteurs, ou les spectateurs, plus ou moins impuissants.

Avec ce roman, d’une grande sensibilité, Valère Staraselski, nous parle d’un passé révolu mais toujours vivant car constitutif de la personnalité de nombre d’entre nous. Le personnage central de cette histoire, Joseph Esperandieu, vit dans un village d’Ile de France. Ce sont les années 60, celles qui marquèrent et structurèrent les générations aujourd’hui en pleine maturité et en pleine force créatrice. Une période kaléidoscopique où les conformismes et les libertés se heurtèrent avec passion, où les chevaux attelés croisaient les premières files d’automobiles.

Bien sûr, il y a de la nostalgie dans ces pages, non envers un hypothétique âge d’or, mais plutôt face au temps qui passe, s’étire ou se contracte, et nous approche chaque jour de l’inéluctable. Du coup, les souvenirs prennent davantage de force, de sens et se chargent d’éternité. Car Valère Staraselski, à travers une fiction tissée autour de ses expériences, de ses émotions, de ses regards, à la fois avides et distants, fait resurgir en nous des moments oubliés qui sont autant de joyaux de banalité, de cette banalité qui fait la joie de vivre, l’amitié, l’amour, la tendresse mais aussi, la révolte contre l’injustice, l’engagement, le militantisme, le combat, la réflexion, le doute, la déception aussi, l’amère déception...

Nuit d’hiver est aussi un roman de l’enfance, un roman de la découverte, de la rencontre, des premières familiarités avec l’incertitude, des premiers émois, des premières trahisons, des premières alliances.

Récapitulation pour l’auteur, ce livre l’est aussi pour nous. Il est comme un grand repas où l’on aurait convié tous ses amis, ses parents, mais aussi quelques ennemis pardonnés ou presque, en tout cas tolérés, avant d’entreprendre un grand voyage au centre de soi-même.

Par ailleurs, ce roman vaut comme témoignage sur les années qui ont vu les souvenirs de guerre s’éloigner tout en restant brûlants, le rapport à la terre se changer par la médiation de l’argent en une aventure prométhéenne, l’industrialisation être porteuse de rêves aujourd’hui engloutis, la famille être célébrée et attaquée comme jamais, la culture devenir accessible.

"Alors çà, qu’il soit d’origine juive, Joseph Esperandieu n’en revenait encore pas. L’enfant l’a appris sur un tabouret de la cuisine, un après-midi de repassage, de la bouche de Sournoise. La saison était au printemps ou peut-être à l’été puisque la vieille porte déglinguée qui donne sur la cour se trouvait alors ouverte, laissant voir les grillages des clapiers ainsi que les grandes oreilles des lapins. Çà l’avait tourneboulé, cette nouvelle ! En réalité, la scène se déroulait quelques mois après que leur mère, profitant d’une permission à l’hôpital, les avait emmenés jusqu’à Paris, à l’église du Saint Esprit de l’avenue Daumesnil, pour y être baptisés. Une très haute église, on aurait dit une cathédrale, en briques. Marjolaine avait six ans et lui sept. Oui, recevoir le baptême !" "Le roi pleure" avait jugé le prêtre lorsque Joseph avait dû absorber du sel, puis : "La reine rit" ; Marjolaine se moquait de son frère qui ne parvenait pas à retenir ses larmes pour un peu de sel sur la langue.
Dehors, avenue Daumesnil, c’était impressionnant ces façades d’immeubles noircies, ces allées d’arbres, c’était beau. Pour lui, Paris, après le train qui s’arrêtait devant le parc du Luxembourg, c’était là où vivait tante Claudie, dans l’ancien appartement de la grand-mère Thérèse. Les portes du métro en bois qui claquent, l’intarissable foule, les trottoirs larges et propres, le mouvement perpétuel. Paris merveilleux, où la joie de vivre, l’énergie étaient manifestes. Partout, cette tranquille agitation de la ville, le remplissait d’un bonheur indicible."

A lire, pour le double plaisir de la littérature et de la vie.

Rémi Boyer

Nuit d’hiver de Valère Staraselski, Editions Le cherche midi