De Travail d’Émile Zola à L’établi de Robert Linhart, de À la ligne de Joseph Pontus en passant par En salle de Claire Baglin ou Dernier travail de Thierry Beistingel, par exemple, la France est riche en romans sur les conditions de travail. Avec Un homme inutile, roman paru en 1998, Valère Staraselski s’est attaché, selon un critique, « à restituer un visage à ceux dont on gomme, jour après jour, l’existence », à savoir les privés d’emploi, les chômeurs. Extrait de Un homme inutile
« Et puis d’abord il avait chaud. Vraiment, il avait chaud. L’intérieur de la station Châtelet bruissait du va-et-vient des sorties de bureaux. Il avait chaud, Brice Beaulieu, parmi toute cette cohue ordonnée et étouffante à la longue.
Oui, il la trouvait injuste, Coryse ! Et puis, cela avait pris un tour nouveau depuis que son contrat au musée d’Orsay s’était achevé : une nouvelle fois, il se retrouvait sans emploi. Parce que, tout de suite, il avait envisagé, il l’avait même évoqué devant Coryse, de mourir plutôt que de survivre dans ce contraire de l’existence que représentait si parfaitement le chômage. Le non-emploi. Mon Dieu, se disait-il, ni perte ni privation ne s’apparentaient autant, dans le vécu, à une sorte de suppuration de chaque instant de l’agonie. Seules les maladies incurables, que parfois Brice aurait voulu contracter afin de donner un peu de sens à sa débâcle, lui semblaient pouvoir se comparer à l‘exclusion absolue des moyens de vivre. Oui, il était bien conscient de ce qu’il pensait !
Cette multitude qui se croisait sans fin à l’intérieur des couloirs de métro, et personne à qui s’en prendre. Ou alors à tout le monde ! C’est-à-dire à ceux-là qui continuaient d’exister comme si de rien n’était. Complices dans leur chance, dans leur bonheur, d’avoir un emploi…
Certes, il y avait Coryse. Mais Coryse relativisait : il n’y avait, après tout, pas de raison, disait-elle, qu’il ne trouve pas quelque chose. La malchance n’allait pas éternellement durer. Et puis, et puis… Mais Brice se renfrognait, se butait, se calait dans le refus. La vérité tenait dans ce qu’il s’était, cette fois-là, senti touché à mort… »