Valère Staraselski brosse le tableau saisissant d’une société en mutation perdant ses valeurs et partant à la dérive, et l’on s’étonne de l’étrange modernité des sentiments et des similitudes entre cette époque et la nôtre, qui ne doivent rien à un artifice d’écrivain : l’auteur a su éviter les pièges de "l’historiocentrisme", et les personnages principaux raisonnent avec les valeurs et selon les critères de leur temps, sans cet "empoussiérage de l’esprit" si courant dans les romans historiques.
Roman historique certes, et on se délectera des intrications entre la petite et la grande histoire. Mais roman philosophique, tant la dialectique qui s’instaure entre le lecteur et le texte est permanente. Elle n’est pas sans rappeler celle qui naît à la lecture de Zadig ou de Jacques le fataliste. Le style très pur permet la conjonction entre la rigueur de l’historien et celle du philosophe : le résultat est ce roman que l’on peut lire à la fois comme un roman d’action, historique ou philosophique.
L’auteur ne se contente pas de narrer une histoire, ni de raconter l’Histoire, de nous entraîner dans les enjeux politiques sous-tendant les enjeux philosophiques ou de dénoncer pour une énième fois les souffrances du peuple. Il a su garder la distance nécessaire pour éviter le piège de la moralisation de l’histoire, si pratiquée aujourd’hui, et nous rendre ainsi toute la complexité d’une époque charnière. S’il s’implique parfois ce n’est pas pour donner des leçons : à chacun de les prendre, s’il le peut ou le veut. Il ne le fait que pour défendre des positions humanistes, par exemple en faisant l’apologie du travail personnel et de la discipline qu’il faut s’imposer pour se dépasser et s’émanciper des idéologies dominantes et de l’asservissement de l’esprit.
Similitudes entre cette période et la nôtre : affaiblissement du pouvoir central et montée en puissance de la bourgeoisie et de l’affairisme, aboutissant à faire passer l’intérêt privé avant l’intérêt public, luttes des factions non pas pour le bien-être de tous mais pour assurer des profits personnels, et un peuple souffrant de chômage, de misère, et servant de marchepied pour l’accession au pouvoir... Ajoutons-y les scandales financiers ou la dépravation morale des classes dirigeantes... ça ne vous rappelle rien ?

Mais différence de taille avec notre époque : au siècle des Lumières ceux qui font référence, parmi les gens éduqués et parmi le peuple, s’appellent Diderot, Voltaire, Rousseau... pour ne citer qu’eux. Il est regrettable que la France actuelle ne compte pas d’intellectuels de cette envergure, d’esprits susceptibles d’initier, en même temps qu’un retour aux principes fondamentaux de la République, l’élan nécessaire au triomphe de la raison sur l’obscurantisme. Ce ne sont pas les ersatz de philosophes médiatisés que nous connaissons qui sauraient remplir cette fonction...
Avec un incontestable talent, Valère Staraselski nous offre un roman didactique, envoûtant, un éclairage sur le siècle des Lumières en même temps qu’une lumière sur notre époque plongée dans la pénombre. Nous tenons là un ouvrage annonciateur du renouveau des Lumières. Aussi, l’irréductible athée que je suis se surprendra-t-il à dire : que les Lumières soient !
Bernard Giusti

Valère Staraselski- Une Histoire Française - Paris, janvier 1789, Le cherche midi éditeur, 2006, 395 pages, 19 euros - en format de poche, les éditions de Borée, 2015, 605 pages, 8,90 euros.

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions du cherche midi de Sur les toits d’Innsbruck, L’Adieu aux rois, Le Maître du jardin, dans les pas de La Fontaine,
Nuit d’hiver
Une Histoire française, recommandé par Historia,
Un homme inutile, Monsieur le député.

Aux éditions De Borée, en format de poche Nuit d’hiver,
Une histoire française.

Aux éditions Seuil Jeunesse La jeune fille au ruban, illustration Anne Buguet.

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions de L’Harmattan de Dans la folie d’une colère très juste.