Valère Staraselski

Vivre intensément repose - Nouvelles du siècle dernier
Critique de Rémi Boyer
octobre 2007

Valère Staraseslki n’écrit ni pour écrire, ni pour se vendre, ni pour distraire, ni pour se distraire. Essais ou romans, ses écrits invitent à penser le passé qui fuit, le présent qui pèse, le futur qui hésite. Ses nouvelles élégantes rendent compte de la difficulté de vivre, de la beauté de vivre, de l’intensité et de la plénitude, rare, qui peut en jaillir.

Valère Staraselski écrit, conduit par les femmes qui se sont installées dans ses pages. Il dit leur complexité, leur richesse, leur souffrance, leur solitude. Il dit l’impuissance des hommes à les recevoir, à les accueillir.

Trop ou trop peu. Ces histoires de vie ne sont jamais suspendues dans un quelconque improbable, elles viennent de tourner le coin de la rue et, en nous hâtant un peu, il nous est aisé, lecteur ou lectrice, de les rattraper à l’un de ses détours de notre mémoire, qui sert bien sûr d’abord... à oublier.

« J’endurais chaque journée, comme tétanisé, par le comportement de Lise qui agissait comme si je n’avais jamais existé. Par sa trahison si facile, si légère, si évidente. La fuite ? Je n’en avais pas la force ni les moyens. Ce que je subissais alors chassa toute confiance envers le sexe féminin de mon cœur et de ma raison. Ce fut la première et la dernière fois qu’une femme m’abandonnait. A partir de ce moment, s’agissant de l’amour, une méfiance quasi animale se ficha en moi. Les vacances finies, nous nous retrouvâmes au lycée. Ou plutôt non, nous ne nous retrouvâmes pas, car nous croisant dans les couloirs plus un regard ne nous lia jamais. Lise avait bien tenté de renouer ne serait ce que le dialogue mais pas un seul instant je ne songeais à recevoir quoi que ce soit d’elle. Je souffrais en silence. Les lowbrows sont fiers car ils sont pudiques, et je l’ai déjà dit, je suis un lowbrow. »

Nous sommes tous passés par des expériences semblables mais Valère Staraselski donne une autre dimension à l’exploration des nuances psychiques de la personne par touches légères mais sanguines. Soudainement, quelques lignes plus loin, il s’extrait du corps à corps, s’éloigne pour jeter un regard lucide non sur les personnes mais sur le jeu même de la vie : « La violence des pauvres est provocation ; celle des riches relève du sans-gêne. »

La littérature - nous ne parlons pas de la médiocrité mise en livre - est, toujours porteuse d’une contestation, ou témoignage de rebellions, voire vecteur de révolution mais, avec Valère Staraselski, l’écrit, bref ou long, se fait subversion, nouvelle subversion, et nous avons fort besoin de nouvelles subversions, en grand nombre, originales, invisibles et puissantes. Au lieu de nous proposer un essai politique que nous ne lirons pas ou n’entendrons point, il en appelle à notre sueur et à nos peurs, plutôt qu’à nos concepts.

« La strangulation d’un jeune soldat de l’armée fédérale avait été rapportée par une chaîne de télévision américaine. Je me souvins alors tout haut des paroles d’un ami yougoslave : la nature de l’être humain tenait de la bestialité, son intelligence ne l’aidant en fait qu’à mieux exercer cette bestialité. Quelques années auparavant, j’aurais protesté, cette fois là, je n’avais rien opposé tant les faits lui donnaient raison ! »

Ou encore, terreur et beauté :

« Il y avait beaucoup de morts autour de nous. Près de moi, un jeune homme de mon âge et de ma taille, un étudiant qui lisait Baudelaire et qui me ressemblait, était tombé d’une balle qu’il avait reçue en pleine poitrine. »

Lirons-nous Baudelaire, ou un autre poète de feu, quand la balle de la bêtise pénétrera notre cœur ?

N’oubliez pas :

« Vivre intensément repose. »

 Critique de Rémi Boyer