Valère Staraselski

Vivre intensément repose - Nouvelles du siècle dernier
Le réel, l’écriture - Lucien Wasselin
La Tribune de la Région Minière
14 novembre 2007

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Valère Staraselski est romancier et essayiste (on se souvient de ses essais sur Aragon et de sa biographie du même écrivain). Mais il est aussi nouvelliste. « Vivre intensément repose » est son troisième recueil de nouvelles. Ce titre me fait penser à celui d’un recueil de poèmes de Jean-Claude Izzo, « Vivre fatigue ». Valère Staraselski donne donc dans la provocation pour dénoncer une réalité bien connue (exploitation des salariés, suicides au travail, cadences infernales, harcèlement en entreprise et, n’en déplaise à certains fanfarons, à ce slogan officiel « travailler plus pour gagner plus »...)

Si la quatrième de couverture met l’accent sur la présence des femmes dans ce recueil (et il est vrai qu’elles tiennent le rôle principal dans sept des huit nouvelles du livre), j’ai été sensible à une problématique que l’idéologie dominante du moment (non, l’idéologie n’est pas morte) diabolise quand elle ne l’occulte pas : celle de la division de la société en classes avec ses diverses déclinaisons comme la lutte des classes, la conscience de classe...Mais ce n’est pas un livre de sociologie politique que signe Valère Staraselski : ces nouvelles sont de vraies histoires avec une intrigue, des personnages bien campés, du suspens...Il y a un vrai plaisir à la lecture...ce qui n’empêche pas la réflexion et la lucidité quant à la société et l’Histoire.

Ainsi si la nouvelle éponyme est une histoire d’amour très distanciée, à l’opposé des histoires d’amour à l’eau de rose, le héros malheureux (abandonné jadis par une femme qui a préféré le confort bourgeois et qui aujourd’hui avec un certain égoïsme entend renouer) est habité par une conscience de classe très vive. N’affirme-t-il pas : « Nos deux vies se croisaient sans pouvoir se rejoindre. Pour finir, cela ressembla à une défaite. Cela ressembla, car à la vérité, ce n’en était pas une, de défaite. Elle avait eu lieu bien avant : tout au long des trente années que nous avions vécues, dans la différence de nos vies. Tout simplement et dés le départ. La violence des pauvres est provocation ; celle des riches relève du sans-gêne ». Qu’est ce qui empêche le narrateur de cette nouvelle d’accepter ces retrouvailles et l’aventure que lui propose Lise ? L’humiliation de jadis qui se confond avec une vive conscience de classe ?

Dans des nouvelles comme « L’Anniversaire », « Sous le réverbère » la conscience de classe des protagonistes joue un rôle déterminant car, sinon, comment comprendre le geste final de l’infirmière ou la décision du commandant de police à propos de la jeune prostituée ? Mais je disais qu’l s’agissait de vraies histoires ; le lecteur est bien transporté dans un univers littéraire. Ainsi avec « Les barricades mystérieuses », sans qu’il ne s’en rende compte, le lecteur est amené dans un climat onirique, l’histoire prend une allure quelque peu fantastique que seul le coup de théâtre final dévoilera. C’est que la réalité est cruelle et qu’il s’agit de ne pas croire aux contes de fées : d’ailleurs l’héroïne le dit : « J’ai passé l’âge des contes de fées ».

La réalité, justement, dans « Paris-Perpignan, la maîtresse m’a dit », qui revient avec ses classes sociales. Portraits d’enfants qui, par leur position de classe, (défavorisée bien sûr, comme on dit dans un doux euphémisme), sont exclus, et comment les plus défavorisés sont doublement exclus puisqu’exclus aussi par les défavorisés...Et comment un instrument d’aliénation comme le foot-spectacle avec ses clubs-entreprises cotés en bourse et ses joueurs milliardaires peut devenir, non un outil de libération pour ces jeunes, mais un premier pas pour quitter leur état de sauvageon individualiste, pour intégrer un premier collectif. Mais cela ne se fait pas de manière spontanée, mais grâce au travail obscur de ces « nantis » d’enseignants désignés à la vindicte populaire pour leurs prétendus privilèges par des politiciens sans vergogne (cela ne vous rappelle rien de l’actualité de ces jours-ci ?)... Mais je m’éloigne du livre de Valère Staraselski.

L’Histoire fait aussi irruption dans ces nouvelles. Celle des camps de la mort et de la déportation dans « La commande »...où, encore une fois, Valère Staraselski aiguise un regard de classe qui épingle la richesse complaisamment étalée (sur le pont d’un yacht, un couple flanqué d’un majordome donne un dîner en spectacle aux touristes qui se promènent sur les quais de la station balnéaire) : le contraste est fort. L’Histoire encore avec Louise Michel, la grande Louise Michel, comme personnage principal de la nouvelle intitulée « La barricade Perronet »...

Et puis, encore une fois, je relève chez Valère Staraselski, ce verbe déplonger (« Il déplongea brusquement de ses pensées et leva la tête... ») que je n’ai lu que chez Aragon, dans un article publié en 1950 dans La Tribune des Mineurs, un article intitulé « Avec Maurice Thorez ». Evoquant la visite que fait Thorez à la fosse 8 de l’Escarpelle, Aragon écrit : « Et il faut lire ce qu’il dit à Fréville quand il déplonge des profondeurs noires... » Le lecteur aura du mal à déplonger de ces nouvelles, une fois refermé le livre de Valère Staraselski tant l’auteur parle de notre temps.

Lucien WASSELIN

Valère Staraselski, Vivre intensément repose, La Passe du Vent éditeur, 114 p. 10 euros. En librairie