Valère Staraselski

Vivre intensément repose - Nouvelles du siècle dernier
Blandine Longre - Sitartmag
décembre 2007


Méprises à propos de : Vivre intensément repose de Valère Staraselski}

La nouvelle éponyme de ce recueil place le lecteur face à un écrivain conscient du "prix à payer" quand on décide d’écrire : « le manque de temps. » Vincent, le narrateur, évoque ainsi la dure condition de l’écrivain que ses publications, même nombreuses, ne parviennent pas à faire vivre : "Le temps est dévoré. Il faut à la fois subvenir à ses besoins - quand il n’y a pas à rechercher un emploi - et exercer son art. C’est tout. C’est comme ça." Le constat résigné mais sans amertume d’une situation qui ne l’empêche pas d’être heureux de vivre et d’écrire (d’où la devise qui tient lieu de titre à ce texte), et de le proclamer.

Quand il est rattrapé par son passé, qui s’incarne dans une femme, Lise, qui l’a quitté trente ans plus tôt, il en est d’abord heureux ; puis il saisit très vite que toute tentative pour reprendre là où ils s’étaient arrêtés est vaine, que leurs vies ont pris des routes trop différentes. Alors, pour tâcher de comprendre, il cède la parole à Lise, désireuse de renouer un fil qu’elle a pourtant brisé des années en arrière... A lire les messages un peu fantasques de cette femme, dans lesquels elle se livre et semble appeler à l’aide, se raccrochant à cet homme qu’elle ne reconnaît plus (et qui se livre peu au lecteur), on a le sentiment d’être confronté à une solitude extrême qui s’adresse au vide et au silence.

Entre passé et présent, jeunesse et vieillesse, ces quelques textes composés d’une plume fluide mettent en perspective le temps qui fuit et le présent qui s’accumule, l’impossibilité de ces retours en arrière - annulant toute justification du regret - que l’on se surprend parfois à espérer, la difficile communication avec nos semblables, qui toujours nous échappent ou que souvent on prend pour ce qu’ils ne sont pas. Hormis le dernier texte, un bel hommage à Louise Michel (que l’on découvre sur les barricades face aux Versaillais, durant le siège de la Commune), d’autres nouvelles s’articulent autour du passé qui interfère avec le présent et le déstabilise - un passé entêtant, inéluctable, qui refait surface chaque nuit pour Ginette (La commande), et laisse cette rescapée de l’univers concentrationnaire hantée par des scènes cauchemardesques - des parallèles avec la situation yougoslave s’échafaudant peu à peu, par le biais de quelques discussions entre le narrateur et des amis. Là aussi, le narrateur est écrivain, en mal d’imagination : en résidence dans le centre de vacances où travaille Ginette, il ne parvient pas à écrire la nouvelle noire qu’on lui a commandée ; ironie du sort, c’est en entendant des cris, plusieurs nuits de suite, qu’il se dit que, peut-être, ce mystère pourrait l’inspirer... sans savoir qu’ils sont l’écho des rêves de Ginette... : « Quelle aubaine prononçai-je alors à haute voix ! Un assassinat au centre de vacances ! Rien à inventer ! » Dans L’anniversaire, une autre méprise attend le personnage : un vieil homme qui vit paisiblement sa routine, entouré de ses chats, sans se douter que l’attend au tournant le passé... qui prend la forme d’une belle et jeune infirmière dont il attend chaque matin la visite. C’est un autre vieillard (musicien, cette fois), qui reste en retrait mais dont le rôle est pourtant essentiel dans Les barricades mystérieuses (titre emprunté à Couperin) - un récit à la limite du fantastique, dans lequel une jeune femme (plutôt seule elle aussi), s’installe dans une nouvelle ville, cherche du travail, en trouve (un poste de caissière en supérette en attendant mieux) et fait peu à peu la connaissance de quelques personnes de son nouvel environnement, même si, discrète, elle préfère rester sur son quant-à-soi ; elle se refuse aussi à côtoyer le monsieur âgé qu’elle croise parfois, éprouvant à son égard une répugnance épidermique, quasi inexplicable - simplement parce qu’il est vieux (« la vieillesse est un reniement total », pense-t-elle, portant haut sa jeunesse). Là encore, il y aura méprise, ce dont elle ne prendra conscience qu’après la mort de cet homme. Trop tard.

Blandine Longre
(décembre 2007)

Blandine Longre, agrégée d’anglais, est l’une des fondatrices de Sitartmag ; traductrice et critique littéraire, elle s’intéresse tout particulièrement aux écritures contemporaines (francophone, anglophone, asiatique, orientale etc.), à la littérature pour la jeunesse, au théâtre (texte et représentation) et aux relations qu’entretiennent fiction et réel.

 Vivre intensément repose, nouvelles du siècle dernier de Valère Staraselski, Editions La passe du vent.

 Editions La passe du vent, La Callonne - 01090 Genouilleux.