Valère Staraselski

Vivre intensement repose - Nouvelles du siècle dernier
Vincent Ferrier - Chemins de Traverse
août 2011

C’est peu de constater, comme le fait la quatrième de couverture, que les personnages féminins qui occupent le devant de la scène de six des sept nouvelles que comporte l’ouvrage, « que la diversité les y rassemble. ». Ce n’est pas tant la diversité qui les réunit que la volonté de se battre, de dépasser leur réalité du moment imposée par leur histoire antérieure, bref d’avancer.
Que ce soit Lise, l’amoureuse ardente et dont son ancien amant réalise, dans les dernières lignes de la nouvelle, que la « petite bourgeoise » qu’il croyait qu’elle était devenue, est liée au mouvement communiste, ou encore Sylvie, la jeune et dynamique infirmière qui chaque matin soigne un vieillard tranquille et installé et qui sera capable, un certain jour anniversaire, de lui hurler une vérité assassine dont il mourra effectivement. Ou encore, cette jeune prostituée préparant une licence de philosophie et surprise à lire un ouvrage de Hegel lors d’un contôle de police, ou bien Pascale caissière d’une petite surface bien que titulaire d’un diplôme de conseil juridique (il faut bien vivre...). Ou, de même, la jeune professeure des écoles Michèle Michaud qui sauve de la perdition un de ses élèves en grande difficulté scolaire (dans le département du 9-3...), ou encore Ginette, déjà la soixantaine, vaillante animatrice d’une collectivité de vacances malgré un terrifiant secret que le lecteur ne découvrira que dans les dernières lignes. Ou, enfin,la lumineuse apparition deLouise michel (excusez du peu...) sur une des barricades de la Commune face aux Versaillais en 1871 ( bien que le recueil indique en sous-titre « Nouvelles du siècle dernier », c’est dire l’intemporalité de ces nouvelles). Reste que dans la huitième et dernière nouvelle, il n’est pas du tout question de femme au long des...neuf lignes narrant cette ultime histoire, mais d’un jeune inconnu qui se suicide du haut des murailles du château de Belfort. La quatrième de couverture ne fait pas allusion à cette nouvelle. Et pourtant, elle n’est pas là par hasard ( ce n’est pas le genre de l’auteur !) : dans sa fulgurance, elle sert, de toute évidence, de contre-point valorisant au parcours des six personnages féminins précédents : ceux-ci luttent et avancent, et cet homme qui se donne la mort, a quant à lui, décidé de ne plus lutter.

Quelques réflexions maintenant sur la place de la musique dans l’ouvrage (une fois de plus, cf. « Une nuit d’hiver »). Musique liée ici, d’une façon inattendue, à l’idée de la mort : le jeune suicidé du château de Belfort tient dans sa main un harmonica et le vieil avocat Mangelli décède sur fond du célèbre rondo de François Couperrin « Les barricades mystérieuses », qui donne d’ailleurs son titre à la nouvelle. Pourquoi ce choix de l’auteur ? Il n’est guère de composition musicale qui n’ait, à travers les siècles, suscité autant d’inspirations créatrices en divers domaines (cinéma, littérature, peinture, musique : Magritte, Maurice Blanchart et quelques autres) ou plus simplement de questionnements sur cette œuvre de Couperin ; l’interprétation la plus directe est la disposition graphique de la partition main gauche et la partition main droite qui semblent dessiner des barricades ; d’autres y ont vu l’évocation du, plaisir féminin rendu inaccessible par ce barrage imaginaire, s’appuyant sur une résonnance érotique, mystérieuse et envoutante de cette musique, aspect que le texte de Valère Staraselski semble reprendre à son compte tout au long du récit sans que le lecteur ne sache, jusqu’à la fin, de quel morceau il s’agit. Mais, et pour en revenir au choix du titre de la nouvelle, on peut retenir une autre interprétation, plus en accord avec le sens général de l’ouvrage. Qu’y a-t-il de plus signifiant de l’esprit de lutte et de résistance qu’une barricade ? La résistance de Pascale à cette classe bourgeoise qu’incarne à ses yeux fortement l’avocat Mangelli, son rejet viscéral au point de se méprendre sur le personnage et que le pouvoir magique de la musique lui permettra, sans qu’elle ne s’en aperçoive, en définitive mais trop tard, de surmonter. Cette interprétation me semble d’autant plus plausible que dans l’une des autres nouvelles, la septième, il est aussi question de barricade, « La barricade Perronet », où apparaît Louise Michel, symbole s’il en est, de la résistance et de l’émancipation féminines.

Vincent Ferrier, Chemins de Traverse,août 2011