Valère Staraselski

Disparition de Pierre Daix : En souvenir
Chronique de Valère Staraselski - 5 novembre 2014

Disparition de Pierre Daix : En souvenir - Chronique de Valère Staraselski - 5 novembre 2014

Première rencontre avec Pierre Daix.

C’était en 1997, j’avais été invité par une librairie de Troyes et une association de la ville dirigée par Jean Lefebvre à rencontrer le public avec Pierre Daix à l’occasion du centenaire de la naissance d’Aragon.

A cette époque, sur le « marché des livres » concernant notre auteur, il n’y avait que le Daix et mon Aragon, La Liaison délibérée...

Personne ou pas grand monde ne pariait, en ces années, un kopeck, si j’ose dire, sur Aragon en tant qu’auteur.

Le libraire était plutôt inquiet. Nous étions en période de vacances scolaires et le public était peut-être lassé car Olivier Todd avait la semaine d’avant rempli la salle (une espèce de salle des fêtes assez vaste ou théâtre) en parlant de Malraux ou Camus, je ne sais plus bien, s’appuyant sur une biographie qu’il avait consacrée à l’un ou à l’autre.

Or, ce soir-là, à la surprise générale, la salle déborda de monde, il n’y avait pas assez de chaises ! Aragon avait visiblement battu un record de participation...

Nous étions assis à une tribune drapée de rouge et l’animateur posait des questions auxquelles nous devions, Pierre Daix et moi-même, répondre chacun notre tour.

Après une petite chicane de détail avec Daix, dès la première question, la soirée se déroula admirablement bien.

Le public se montra non seulement très attentif mais contribua par ses questions sur l’auteur de Les Communistes et de La Semaine sainte à une visite assez complète.

A la fin de la rencontre, je me souviens que nous avions et l’un et l’autre signé le même nombre d’exemplaires de nos ouvrages. Comme si nos points de vue et propos parfois divergents sur la vie et l’œuvre d’Aragon avaient été complémentaires...

Ensuite, nous avons passé une partie de la nuit à parler d’Aragon bien sûr mais aussi de Picasso (Pierre Daix préparait une exposition sur lui) mais aussi du PCF (je me souviens qu’il disait Maurice et Jeannette désignant par-là Thorez et Vermeersch, comme si c’était hier) et bien sûr très longuement du camp de Mauthausen où il avait été déporté. Les murs faits de corps gelés en hiver, les trains pullman déversant en pleine nuit leur « cargaison » de femmes en manteaux de fourrure ayant été raflées quelques heures avant et qui partaient directement à la mort. Il évoqua aussi Arthur et Lise London dont il avait épousé la fille. Tout au long de notre conversation, il se montra très chaleureux. Il y avait du vin rouge. Nous nous sommes couchés après quatre heures du matin...

De ce jour, nous sommes devenus très amis...

Il m’a bien sûr offert son livre avec la dédicace suivante (trop gentille) :
« A Valère qui en connait autant que moi sinon plus sur Aragon ».

Par la suite, nous avons encore parlé d’Aragon ensemble à la FNAC ou ailleurs, mais c’est de cette première rencontre dont je me souviendrai toute ma vie, considérant que Pierre Daix était avant tout un grand résistant, un intellectuel passionné et passionnant. Que l’auteur de J’ai cru au matin était un homme blessé aussi par les combats politiques, un homme à l’esprit très ouvert, méritant le respect et l’estime de chacun.

Valère STARASELSKI