Valère Staraselski

"Halte au retrait !" article dans l’Humanité et la revue
en ligne Vendémiaire - Chronique de Valère Staraselski
2005

Valère Staraselski pour l’Humanité du 16 novembre 2005 et la revue en ligne Vendémiaire N°19 Octobre 2005

Que ne me suis-je pas attiré comme remarques désobligeantes sur le fait que j’habite une cité ! Toi un docteur es Lettres, écrivain exigeant, rédacteur en chef d’un mensuel tirant à 300.000 exemplaires... Et je réponds invariablement - comme à ce rédacteur de cette revue prestigieuse, venu vivre quelques années dans cette ville, le temps de revendre sa maison avec une grosse plus-value et de repartir à Paris -, que j’avais été bien content de trouver un logement décent en échange d’un loyer raisonnable, que je vivais avec des êtres humains et que je ne me sentais pas le courage de déserter...
Du caca ! C’est sur du caca que je suis tombé en ouvrant la porte de l’ascenseur, ce dimanche 30 octobre alors que des violences urbaines avaient débuté en Ile de France. De l’excrément humain, l’odeur ne trompe pas. Ecoeurant ! Je suis donc descendu à pied. Mon adresse : cité Marcel Cachin, bâtiment L, escalier cinq, une ville de Seine-Saint-Denis. Une ville plutôt tranquille, comme la cité, quelques voitures brûlent de temps à autre le week-end...

Que ne me suis-je pas attiré comme remarques désobligeantes sur le fait que j’habite une cité ! Toi un docteur es Lettres, écrivain exigeant, rédacteur en chef d’un mensuel tirant à 300.000 exemplaires... Et je réponds invariablement - comme à ce rédacteur de cette revue prestigieuse, venu vivre quelques années dans cette ville, le temps de revendre sa maison avec une grosse plus-value et de repartir à Paris -, que j’avais été bien content de trouver un logement décent en échange d’un loyer raisonnable, que je vivais avec des êtres humains et que je ne me sentais pas le courage de déserter. Quant à mon oeuvre, il suffisait de voir où logeait Michel-Ange, par exemple !...

Depuis un mois environ, ayant forcé la porte d’entrée, des jeunes, des garçons, "squattaient" les premiers étages de l’escalier 5, le soir, la nuit. Le rapport de force le permettant, les voisins des premiers étages ont osé leur demander de partir. Les représailles de ces jeunes ne se sont pas fait attendre longtemps : défécation dans l’ascenseur. Bon, le stade anal quoi !

Du bas de l’immeuble jusqu’au stade où je me rends chaque dimanche matin, je croisais ce 30 octobre nombre de connaissances, plutôt électeurs de gauche qui à la faveur des événements laissèrent éclater leur colère contre les incivilités et les comportements irrespectueux, leur exaspération contre les dégradations des sites de vie, la saleté qui gagne. Leurs réactions étaient tendanciellement ethnicisantes et leur approbation des mesures du ministre de l’Intérieur patente : "Lui au moins, il fait quelque chose !" En effet, symboliquement, verbalement, le ministre prend en charge la violence de la société française qui affleure ou explose en lui offrant un bon débouché politique de droite. Seulement, pour ce faire, il ne s’appuie pas sur rien. Et ça, les banlieusards le savent puisqu’ils le subissent au quotidien, en plus du mépris institutionnel, du chômage, de la précarité, de journées très longues dans les transports en commun bondés, etc.. Que le ministre adopte une position de l’affrontement sert à beaucoup d’exutoire.

Quant aux jeunes qui incendient voitures, poubelles et bâtiments publics, ils ne paraissent pas avoir compris que ce qu’ils voient à la télévision, que leur expression culturelle marchandisée à outrance par certains médias, ne peut résumer toute la réalité. Et que le socle des discriminations, qu’ils ne sont pas les seuls à subir car elles sont inextricablement raciales et sociales, comme celui de la logique des extrêmes à laquelle ils participent, repose sur une injustice sociale aggravée (qui se souvient du désespoir des employés de Cellatex ?). Et que le libéralisme peut leur réserver une dégringolade dont ils n’ont pas idée tellement ils semblent prisonniers, pour la plupart, du rêve qu’il distille, de l’horizon qu’il promet.

"Je ne veux pas être l’esclave de l’esclavage" lançait Frantz Fanon.

Ils sont loin d’entendre les appels au refus de victimisation de Fanon comme d’Aimé Césaire, car l’univers par trop grégaire dans lequel ils évoluent éloigne de la rencontre avec l’autre et donc de la réflexion. Simplement, les jeunes sous leurs capuches que Robert Guédiguian montre dans son avant-dernier film, immobiles, tels des emblèmes d’un avenir incertain et menaçant, sont des êtres qui ne se reconnaissent pas dans une République de la reproduction. "La Faculté est bien gardée" constatait déjà en son temps Céline...

Du côté des associations, bien sûr, l’action - notamment dans le domaine culturel - s’effectue au quotidien, avec persévérance et succès.

 Du côté des enseignants, imagine-t-on un seul instant que l’école n’existe pas dans ces quartiers, les conséquences ?

Du côté de la Gauche, les élus font un travail évident en bas dans les quartiers comme en haut avec des propositions et l’instauration de lois comme celle sur la répartition des logements sociaux, celle sur le contrôle des fonds publics attribués aux entreprises, abolie par la Droite depuis.

Mais ce sont les militants (espèce qu’on a voulu en voie de disparition) des partis de Gauche et singulièrement celles et ceux du PCF qui, semble-t-il, manquent le plus à l’appel. Cruellement.

 Pourquoi des policiers "proximiés" et pas des politiques "proximiés" ?

 Comment un parti politique peut-il penser, inventer, construire un projet, qui plus est, une alternative, sans un va-et-vient, ou en l’absence d’une symbiose avec sa base ?

 Comment cette base peut-elle être une base si une partie de la population ne s’y trouve pas ?

 Franchement, la démocratie n’est-elle pas en permanence à ce prix ?

 Il ne s’agit pas de simplifier mais pourquoi ce qui a été possible dans des époques d’adversité, ne le serait-il plus aujourd’hui ?

 Par manque de perspectives ? Parce que les libéraux ont emporté une bataille économique et idéologique ?

 Parce qu’on ne pourrait plus rien faire ?

 Qui décide de cela à la fin des fins ?

Mieux vaut voir les choses en face : il n’y aura pas de solution individualiste.

Bien des habitants de notre pays, par manque de contrepoids politique, idéologique vont basculer dans la pauvreté.

 Est-ce une raison pour renoncer à politiser les couches populaires telles qu’elles sont et non pas telles qu’elles étaient ?

 Qu’auraient été des milliers de "marginaux" (il n’y a pas qu’Azzouz Begag qui ait vécu le dénuement et l’exclusion !) s’ils n’avaient pas rencontré dans le Parti Communiste une structure d’accueil capable d’étancher leur soif de justice et pas uniquement leur volonté de s’élever socialement ?

Je viens d’un milieu où, au chômage ou non, l’on n’avait pas honte d’être pauvre.

Sur la fonction éminente de représentation de la politique, il n’est qu’à relire Aux bords du politique de Jacques Rancière.

 Qu’en est-il aujourd’hui ?

La situation n’est bien sûr pas imputable au seul rétrécissement du Parti Communiste, mais il est temps d’amplifier ce qui a été commencé notamment avec les organisations de jeunesse, à savoir, déployer une action audacieuse envers les milieux populaires dont le nombre ne cesse de grandir.

Lorsqu’avec Roland Leroy, nous avons eu à choisir des articles de L’Humanité de l’année 2003 pour l’anthologie de son centenaire, nous n’avons pas hésité un seul instant à sélectionner l’éditorial du 13 décembre signé Maurice Ulrich, Citoyens, et vous ?, qui traitait des suites de la marche des beurs du 3 décembre 1983. "Ils s’appellent Toumi, Farid, Kamel, Khadidja, ils sont des dizaines de milliers qui se sont mis en marche, depuis des jours, depuis les banlieues, les cités, depuis les barres des Minguettes et leurs horizons barrés, et qui arrivent à Paris, depuis la Marche des Beurs. Vingt ans et quoi ? (...) On s’appelle Jamel ou Zinedine, on fait rire et on joue au ballon mais on ne figure pas dans les organigrammes des partis politiques. La Gauche, dans son ensemble, n’a pas été à la hauteur"...

 Et aujourd’hui ?

De grâce que l’on sorte d’abord du seul registre victimaire qui a pour effet d’exaspérer tant les autres victimes de l’inégalité et qui n’offre aucun débouché sérieux.

 S’il est vérifiable que si on ne peut exister en construisant, on tente d’exister en détruisant, Pasolini n’avait-il pas raison lorsqu’il avançait que toute permissivité aboutit à la vulgarité ?

La vulgarité des marchands qui ont réussi à se hisser à la hauteur sinon de maîtres à penser, tout au moins de maîtres à vivre pour de trop nombreux jeunes fragilisés aujourd’hui...

A Gauche, je n’ai guère entendu que Laurent Fabius qui s’adressait à l’ensemble de nos concitoyens en rappelant que les droits n’allaient pas sans les devoirs et proposer comme apprentissage de l’intérêt général et du vivre ensemble, un service civique de six mois.

 Ça n’est pas grand-chose ?

C’est déjà ça, c’est-à-dire une base rassembleuse et compréhensible par tous. En matière politique, la fatalité, la division ont fait des progrès effroyables dans notre pays. C’est pourquoi, dans les banlieues comme ailleurs, il est temps de dire : halte au retrait des politiques !

Ah, oui, j’oubliais le caca. C’est ma voisine du cinquième qui l’a ramassé et qui a nettoyé. Elle est employée à l’hôpital de Neuilly sur Marne, son mari est maître-chien, il travaille la nuit avec son énorme bête. Ils sont maghrébins tous les deux. Quand elle berce sa deuxième fille, un bébé, je l’entends qui chante "le petit Quinquin". Je l’ai remercié. On se connaît mieux à présent, car durant un an j’ai bataillé pour qu’ils ne déposent pas leur poubelles sur le palier...

Valère Staraselski
Auteur de Un homme inutile