Valère Staraselski

"Haut les cœurs"- La revue en ligne Vendémiaire
Chronique de Valère Staraselski - mai 2006

Valère Staraselski - La revue en ligne Vendémiaire N°21
mai 2006

Dans le numéro anniversaire que La Quinzaine Littéraire consacre à ses 40 ans d’existence, Milan Kundera écrit : "Aujourd’hui, on snobe les revues. Et pourtant, autrefois, tous les grands courants de la pensée et de l’art se sont formés autour d’elles.

Je me souviens de la bibliothèque de mon père : je revois six tomes reliés de toile bleue, six années de la revue Le carnet de Salda.

Grand critique pragois entre les deux guerres, Salda l’a fondée pour pouvoir y réfléchir sur les livres : livres tchèques aussi bien qu’étrangers, contemporains aussi bien qu’anciens, récemment édités aussi bien que négligés, voire oubliés.En effet, selon lui, le critique n’est pas un commentateur essoufflé des nouveautés, mais celui qui réfléchit sur la littérature dans toute son étendue temporelle, sachant que c’est la présence constante de cette réflexion qui inscrit les livres dans la mémoire, qui en fait une histoire - une histoire des valeurs".

Vendémiaire, revue culturelle et politique, fondée en mars 2002, n’a d’autre ambition que de continuer à émettre des informations et de la réflexion, des informations réflexives. Et ce, indissociablement, pour des raisons culturelles et politiques.

Politiques puisque la politique demeure le meilleur et le plus efficace des moyens pour faire vivre la démocratie. Et l’on sait que cette organisation humaine ne doit son existence qu’à un mouvement perpétuel, fragile équilibre qui, comme l’écrivait Georges Clémenceau, se doit d’être une création continue.

C’est que Vendémiaire participe au débat démocratique en s’efforçant, on le sait, de donner à lire des informations, des positions, des propositions émanant, pour l’essentiel, de la Gauche qui n’est pas celle du renoncement sans tomber dans le Gauchisme, cette posture infantile.

Aujourd’hui, la démocratie semble être mise en danger dans ses structures mêmes ainsi par exemple que le montre, de manière pertinente,Michel Strausseisen, dans Une République à reconstruire (1).

De manière plus ou moins affirmée, "la concurrence libre et non faussée" instaure une société du risque pour tous où personne ne se sent en sécurité et tourne le dos à l’exercice de la démocratie en opposant les individus les uns aux autres, les communautés les unes aux autres.
La régression est patente et des relents de barbarie commencent à se faire sentir.

La culture est l’autre grande affaire de Vendémiaire. Qu’on se représente la confiscation médiatique et éditoriale du champ artistique et intellectuel par les soi-disant élites appartenant à la noblesse d’Etat et à celle de l’argent. Qu’on se représente l’engoncement des éditeurs dans le commerce, des universitaires dans leur carrière, des journalistes dans leur coterie ainsi que l’ont exposé deux numéros exceptionnels de la revue Esprit Splendeurs et misères de la vie intellectuelle (2) ou bien Gérard Noiriel dans un essai intitulé Les fils maudits de la République (3) ou encore Perry Anderson dans La pensée tiède, un regard critique sur la culture française (4). La liste n’est pas close. Et je renvoie à l’excellent et très éclairant article de Jacques Bouveresse Intellectuels médiatiques et penseurs de l’ombre, on en est là !, paru dans le numéro du Monde diplomatique de mai 2006. Qu’on se représente que les intellectuels qui y sont décrits entendent, le plus naturellement du monde, continuer à faire la pluie et le beau temps. Qu’on se représente que la promotion jusqu’à l’écœurement du conformisme le plus ahurissant est le fait de ceux qui ne seront jamais touchés par l’humilité intellectuelle puisqu’ils ne sont en rien en contact avec la réalité, même émotive, et ne peuvent accéder de ce fait à l’esprit de responsabilité ni à l’idée d’intérêt général. Qu’on se représente que cela s’étale chaque jour sous nos yeux.

Et sans doute, l’on comprend pourquoi nous nous retrouvons dans la définition du héros telle que le poète Mahmoud Darwich l’exprime : "tel est son sort, toujours acculé à des batailles inégales face à l’ennemi" (5). Batailles inégales que nous menons joyeusement et consciencieusement pour, avec nos moyens et dans les conditions de notre vie quotidienne, maintenir la présence constante d’une réflexion...

 (1) Une République à reconstruire, Michel Strausseisen. Bérénice, 2006.

 (2) Splendeurs et misères de la vie intellectuelle, revue Esprit, mai 2000.

 (3) Les fils maudits de la République, Gérard Noiriel. Fayard, 2004.
 (4) La pensée tiède, un regard critique sur la culture française, Perry Anderson. Seuil, 2005.

 (5) "Mais les héros, tel est leur sort, toujours acculés à des batailles inégales face à l’ennemi, doivent aussi préserver leur image dans l’imaginaire populaire" extrait de En chacun de nous quelque chose d’Arafat, Mahmoud Darwich. Le Monde, 17 novembre 2004.