Valère Staraselski

"Juste avant la guerre" pour la revue en ligne Vendémiaire
et en partie pour l’Humanité - éditorial de Valère Staraselski
2003

L’éditorial de Valère Staraselski
paru dans la revue en ligne Vendémiaire N°7
repris en partie dans l’Humanité du 7 janvier 2003

On le sait, le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique met la dernière main à sa guerre contre l’Irak. Ce pays dont on connaît la politique d’exactions menée contre son peuple. Peuple parfois estourbi, parfois dispersé à travers le monde, trois à quatre millions sur une population totale de 23 millions, souvent martyrisé...

Dans ces jours de préparation guerrière, on se souvient de ce que proférait Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage ». Oui, ces vieilles lunes !.. Et on entend les intellectuels arabes, à l’image de l’écrivain égyptien Sonallah Ibrahim, dire des leurs : « Les gens ont le sentiment que le monde tout entier est contre eux et ils se demandent pourquoi ! Ils savent que ce qui est en jeu c’est le pétrole et la mainmise d’Israël sur la région, qu’éliminer Saddam Hussein et Yasser Arafat sont les deux faces d’une même médaille ». Et on relit les mots pleins de bon sens que Voltaire envoyait à madame Du Deffand : « Le nombre infini de maladies qui nous tuent est assez grand, et notre vie est assez courte pour qu’on puisse se passer du fléau de la guerre »... Et on subodore, en effet, que ça n’est pas pour la démocratie ni pour les droits de l’Homme bafoués que les Etats-Unis vont intervenir en Irak, leur ancien allié contre l’Iran, mais pour des raisons purement géostratégiques et économiques. On imagine les profonds dégâts opérés par l’enclenchement de cette logique des extrêmes (quand on ne peut pas exister en construisant, on existe en détruisant) dans les populations arabes et musulmanes. Normal, l’Islam est la plus con des religions, s’exclame Houellebecq ! A l’ignorance fière d’elle même, à l’assurance petite-bourgeoise d’avoir raison, préférons la conscience du philosophe allemand Jürgen Habermas : « C’est dans le contexte d’une sécuralisation qui « déraille » qu’il faut situer - dit-il - mon intérêt pour une approche respectueuse des traditions religieuses qui se distinguent par la capacité supérieure qu’elles ont d’articuler notre sensibilité morale ».

C’est une tautologie que de rappeler que dans l’histoire humaine, le fait religieux ne sera jamais réductible à aucun intégrisme...

Lors du forum économique mondial de New York, en février dernier, le président d’AOL, Time-Warner, Mr Parsons, déclarait qu’ à une époque les Eglises avaient joué un rôle déterminant dans nos vies, ensuite ce furent les Etats, à présent c’est au tour des entreprises. Le passage d’une société politique à une société de marché, le rêve tout à la fois de Fukuyuma, des soixante-huitistes repentis et de Bush, s’effectue sous nos yeux. En bloquant l’accès des pays pauvres à des médicaments destinés aux traitements de grandes épidémies qui déciment les populations du Sud, notamment de l’Afrique, les Etats-Unis démontrent que la norme commerciale s’attaque au droit humain.

Dans l’éditorial du bulletin national de la ligue des droits de l’Homme qu’il préside, Michel Tubiana écrit :
« La LDH est aujourd’hui, comme de nombreuses associations, interpellée par les partis politiques de gauche. Participer à des débats, donner notre avis sur bien des choses : voici qu’est revenu le temps de la concertation et de l’échange. On peut ironiser, bien sûr, sur ce soudain réveil d’une considération qui avait disparu. On peut - et on doit - ne pas oublier les erreurs passées et les divergences qui existaient et qui existent toujours ».

« Rien ne peut justifier, en revanche, que nous ne répondions pas à ces interpellations. Les partis politiques participent de la démocratie et, quelles que soient les critiques que l’on puisse leur faire, la vie démocratique a tout à perdre à leur affaiblissement. Qu’ils aient à fonctionner autrement, nous en sommes convaincus. Qu’ils aient à renouveler un corps de pensée trop souvent sclérosé par le souci de rester au pouvoir, c’est évident. Mais, c’est en nourrissant leurs débats, en les interpellant à notre tour que les choses avanceront et non en les tenant en lisière comme des produits périmés ou malodorants. La LDH a toujours reconnu la légitimité de l’action politique et n’a jamais confondu son rôle avec celui des partis ».

Elémentaire mon cher W... Seulement, aujourd’hui, cet élémentaire semble échapper au plus grand nombre. Tout au moins à gauche, tant il est vrai, ainsi que le reconnaît l’avant-projet du congrès du PCF, que « les organisations de gauche ont elles-mêmes contribué au développement de l’idée que la politique n’offrait pas de perspective. Idée qui est à la base de la crise de la politique. »

A ce sujet, Daniel Lindenberg a semble-t-il raison d’écrire dans Le rappel à l’ordre : " Nul n’ignore que l’euphorie qui a suivi la fin de la Guerre froide n’est plus qu’un souvenir. Mais c’est précisément sur le scepticisme grandissant de notre époque, qui n’épargne pas les fondements de la société ouverte, que s’édifient silencieusement de nouvelles idéologies de combat."

De droite s’entend.

C’est pourquoi, les partis, les organisations de la gauche non populiste, les syndicats, doivent s’extraire à toute vitesse de la méconnaissance persistante, de la surdité pratiquées à l’encontre de l’exigence de démocratie qui s’exprime partout dans le pays.

Pour les jeunes gens notamment, le choix ne doit plus être entre l’individualisme contractualisé du libéralisme et l’enfermement communautariste, autre nom du corporatisme social.

Travailler à ce qui intéresse la vie de l’ensemble de la communauté et ses orientations demande l’extension du domaine de la démocratie dont Rousseau disait dans Le Contrat social : « Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Pour tout dire, lui-même n’y croyait pas, c’était son côté « stalinien » avant l’heure.

Ce rappel n’est pas fait pour décourager mais pour indiquer le chemin parcouru et surtout celui qui reste à couvrir.

Du point de vue institutionnel, le rôle de l’Europe pour la paix devrait être, dans la situation créée par les USA, considérable. Du point de vue politique et démocratique, le rôle des partis et organisations est crucial. On sait que la dernière mode à gauche consistait - et consiste encore pour certains - à tenir les adhérents pour quantité négligeable quand ils ne sont pas purement et simplement considérés comme des obstacles. Quelle folie ! Comme d’habitude, ce seront eux qui sauveront les organisations et leur fonction dont à tant besoin la démocratie. C’est François d’Assise et non les papes du 12ème siècle qui préserva et revivifia l’idéologie des Evangiles en même temps que l’Eglise.

Je ne prendrai qu’un seul exemple : Vendémiaire. Cette revue en ligne vient de passer le cap des 1000 abonnés. Il y a six mois, vous étiez trois cent. Sans le travail patient et inlassable de Bernard Giusti, cette revue n’existerait tout simplement pas. C’est lui qui jour après jour anime le comité de rédaction, reçoit les propositions d’articles, redistribue, met en page, répare l’ordinateur. C’est lui qui silencieusement fabrique les numéros de Vendémiaire. On est loin du fracas des bombes de la prochaine guerre ! Non, grâce à des êtres tels que Bernard Giusti, on est juste en face ! Bonne année !