Valère Staraselski

" La Raison des Nations - Pierre Manent "
dans L’Humanité et pour la revue en ligne Vendémiaire
Critique de Valère Staraselski - mai 2006

Valère Staraselski - l’Humanité du 26 avril 2006 également mis en ligne sur Vendémiaire N°21 - mai 2006

L’effacement progressif de la Nation menace aujourd’hui la démocratie. Tel est en substance le constat établi par Pierre Manent dans un livre extrêmement intelligent, La Raison des nations (1).

Ce professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, grand spécialiste du libéralisme, philosophe ayant argumenté en faveur d’un non libéral au projet de traité constitutionnel en mai 2005 rappelle que "la cité et l’Etat-Nation sont les deux seuls formes politiques qui ont été capables de réaliser, du moins dans leur phase démocratique, l’union intime de la civilisation et de la liberté".

Déplorant la faiblesse sinon l’échec de l’Europe, il estime que "l’Etat est de moins en moins souverain et le gouvernement de moins en moins représentatif. Les instruments politiques de la nation démocratique sont de plus en plus fonctionnels et de moins en moins politiques". C’est ainsi que les diverses communautés jusque-là subordonnées à la nation s’en détachent et aspirent à se suffire à elles-mêmes. Sans jamais désigner la responsabilité de la contre-offensive libérale dans ce processus, Pierre Manent pose, semble-t-il, la seule question qui vaille, celle de la légitimité : "Quelle association humaine saura lier le consentement à la communion ? "

Lors d’un séminaire de la fondation Gabriel Péri, Stéphane Rozès, directeur de la SOFRES notait que si "le travailleur ne retire plus de fierté de sa fonction, il se replie facilement sur celle d’être français" (2).

En écho, dans Fier d’être Français, Max Gallo fustige "nos élites devenues les pédagogues de renoncement national" et appelle au sursaut pour sortir de "la nation-musée et balkanisée" (3).

Sans partager l’ensemble des points de vue émis sur le sujet, pour qui entend passer du rassemblement antilibéral à une construction politique progressiste, il parait difficile pour ne pas dire impossible de faire l’économie d’une réflexion sur la Nation. Car qu’on le veuille ou non, comme l’indiquait Ivan Lavallée, "la nation française reste le lieu par excellence de l’articulation du local à l’universel, elle est la matrice de notre démocratie, l’espace privilégié des luttes" (4). Ainsi pour l’Europe, n’est-il pas loisible, sans rien renier de sa personnalité, de jouer collectif ? Et à celui ou celle qui crie au nationalisme, on lui demandera d’observer par exemple, le désespoir civique et ses conséquences, la violence de la délégitimation de la politique ainsi que les manifestations des jeunes ces derniers jours dans les rues des villes de France.

 (1) La Raison des nations - Réflexions sur la démocratie en Europe Pierre Manent. Gallimard

 (2) Nouveau salariat du capitalisme informationnel

 (3) Fier d’être Français ! Max Gallo. Fayard.

 (4)"Communisme, liberté, nation." L’Humanité du 31 mars 2006