Valère Staraselski

MANIFESTE D’INNSBRUCK - Je ne veux plus
Valère Staraselski - 13 octobre 2015

MANIFESTE D’INNSBRUCK

C’est le 10 octobre 2015, à l’Institut franco-tyrolien situé dans le cœur historique de la ville d’Innsbruck, capitale du Tyrol, qu’a été émise l’idée de ce manifeste. À l’invitation de Madame Béatrice Gaigg, responsable de cet institut, était donnée une lecture publique de l’ouvrage "Sur les toits d’Innsbruck" de Valère Staraselski. À cette occasion, Madame la professeur Ursula Moser, responsable du Département des langues romanes de l’Université de la ville, a proposé d’extraire un passage de ce roman pour en faire un manifeste.
Eu égard à ce qu’il pense être un devoir d’humanisme, l’auteur s’est déterminé à passer à l’acte.

Je ne veux plus

Je ne veux plus... dans les villes de mon pays de cet air moite en plein hiver. Je rêve pour cette saison d’une atmosphère froide, sèche et saine...

Je ne veux plus de détritus le long des lignes de chemin de fer de France... De tous ces affreux déchets qui s’entassent et s’enchevêtrent le long des rails, sur le ballast et les côtés...

Je ne veux plus de ces sacs plastique poisseux, bouteilles, gobelets traînant en interminables guirlandes pathétiques le long des lignes des trains de banlieue et des autoroutes aussi.

Je ne veux plus de toutes ces poubelles répandues, de ce déballage d’emballages et de ces restes de déjections du règne consumériste !

Je ne veux plus de tous ces fruits qu’on ne ramasse pas et laisse pourrir sur la terre des jardins et dans les propriétés de toutes les régions de France !

Je ne veux plus du non-partage de la vie qu’engendre, que dis-je, qu’impose l’idéologie de la consommation mariée à celle de la cupidité... De cette négation de l’autre tellement affichée !...

Je ne veux plus de ces dealers qui brassent plus d’argent que des États et qui l’étalent en toute impunité : summum de la vulgarité !... De ces soi disant politiques corrompus ès qualités : summum de l’obscénité !... De ces marchands qui ne sont plus dans les temples archi-combles, car ils ont leurs propres temples dans lesquels et à partir desquels irradie et se répand un infantilisme bon teint et ravageur...

Je ne veux plus de tous ces types et ces femmes également qui, par millions, sur des machines ultrasophistiquées, passent leur temps libre à des jeux pour enfants de six ans ! Je ne veux plus de cette haute sophistication mise au service de la régression revendiquée !

Je ne veux plus de tous ces très mauvais scénarios écrits par des idiots, fiers de l’être, idiots parce que se considérant comme l’élite, parce que payés grassement et titulaires, n’est-ce pas, de diplômes qui n’en sont à vrai dire plus !... De ces scénarios qui servent à bâtir des sociétés délirantes et débilitantes ainsi que des existences, les nôtres, malheureuses !

Je ne veux plus de toute cette crasse tenace, épaisse et assumée contre la culture et l’art ! De ces dirigeants limités et fiers de l’être ! De ces millions d’haleines chargées de nourriture frelatée ! De ces champs phosphatés jusqu’à ce qu’épuisement et mort de la terre s’ensuivent !

De ces cités où l’air est mangé par les gaz ! De ces visages qui manquent de sommeil. Terriblement de sommeil, le matin dans les trains de banlieue bondés...

De ce mépris pour les pauvres, pour qui la vie n’est pourtant que combat ! De ce dédain pour le populaire, pays devenu invisible aux petits et gros privilégiés ! Aux bobos de droite ou bobos de gauche !... Pour ceux-là qui réalisent l’exploit tous les matins, tous les soirs d’emprunter les transports en commun surchargés pour aller gagner petitement, très petitement leur vie, avec le seul objectif de conserver leur dignité !...

De ces déplacements par avion quasi hystériques d’une métropole à l’autre, de ces voyages de pour presque rien, pour pas grand-chose. De toute cette vaine agitation qu’ils osent appeler la vie !

Je ne veux plus de ces réseaux dits sociaux et dont le premier des créateurs, dictateur au petit pied, affirme, que dis-je, clame haut et fort que son but consiste en la disparition pure et simple de toute vie privée...

Je ne veux plus de cette indigestion de superflu qui, au lieu de diminuer l’angoisse de vivre, l’accroît et la renforce en abaissant les êtres !

Je ne veux plus d’un Occident adolescent et impréparé au pire qui, on le sait bien, risque toujours d’advenir !...
Je ne veux plus de cette indignation maximaliste à bon marché et à tout bout de champ alors que le continent européen demeure encore le plus habitable et civilisé qui soit !...

Je ne veux plus de ces jambes écartées des jeunes mâles dans le métro en mal d’affirmation qui contraignent, humilient et de fait excluent leur voisin de trajet... Je ne veux plus de ces vêtements de publicité débiles portés par le plus grand nombre... De ces gens qui se débarrassent de leur mouchoir de papier à même le sol, de leur chien ou de leur chat à chaque départ en vacances... De cette absence de maintien dont on sait bien à la longue qu’il est, ce maintien, digne affirmation de la vie...

Je ne veux plus de ces plaintes incessantes en lieu et place de propos et d’actes réalistes et, pourquoi pas, combatifs... De ces déplorations, blâmes, ironie et persiflages, mais point de début d’action un tant soit peu énergique !... De tout cet égoïsme forcément barbare et régressif. De ces faux héros, de ces imposteurs qui imposent le contraire de la loi protectrice jusque dans le moindre détail... De ces faux écologistes qui choisissent l’empoisonnement de l’air par les énergies fossiles !..

Je ne veux plus de ceux qui après avoir pourri terre et mer s’apprêtent à gazer le ciel !... Je ne veux plus de ces immeubles aux toits plats et laids...

Je ne veux plus de l’impossibilité de transmettre. De se concentrer. Du refus d’accepter la frustration. Oui, cette frustration sans laquelle, sans le consentement à laquelle nous n’aurions plus grand-chose d’humain... Je ne veux plus de ce qui n’est pas sage, c’est-à-dire humble, moral et altruiste... Je ne veux plus de la toute-puissance du marché, qui entend changer la nature même du travail en le niant, en le tuant... De ce qu’il impose partout comme étant les valeurs d’aujourd’hui... De la culture manipulée par les seuls intérêts commerciaux... Des mômeries de l’ex-trader new-yorkais, Jeff Koons, dans le parc du château de Versailles...

Au XI et au XIIème siècle, le prêt avec intérêt ne s’exerçait que sur des biens consommés, le prêt avec intérêt était interdit, on ne pouvait pas faire de l’argent avec de l’argent. Pourquoi ne rétablit-on pas ces lois ...

Je ne veux plus d’actionnaires ! C’est quoi, ça, cette chose immorale, pardon, amorale, un actionnaire ?... Et une actionnaire... pire encore ! Indécence des irresponsables... Manque de tact... Manque de goût... Indifférence à ses propres crimes... À ses victimes... Au chômage... Suicides dans les entreprises... Tueurs en série !... Quelle dégoûtation, un actionnaire !... Pouah...

Je ne veux plus de ces objets et de ces fabrications industrielles qui composent notre quotidien occidental et bientôt mondial !...

Est-ce trop demander ?