Valère Staraselski

Pierre Drachline - Ecrivain et éditeur
Vincent Roy - Le Monde - 15 décembre 2015

Pierre Drachline
Ecrivain et éditeur


18 JANVIER 1948
- Naissance à Gennevilliers 1972 - Création des éditions Plasma
1993 - Devient directeur éditorial du cherche midi
3 DÉCEMBRE 2015 - Mort à Paris

L’écrivain et éditeur Pierre Drachlineest mort à Paris, le jeudi 3 décembre, à l’âge de 67 ans. Cette figure des Lettres avait un caractère bien trempé.Anarchiste, réfractaire, il était assuré que la morale, en politique, était le préservatif usagé de l’hypocrisie. Toute son œuvre est un rappel au désordre.
Né le 18 janvier 1948 à Gennevilliers dans une famille de marchands ambulants, il suit des cours de comptabilité à Pigier mais, très jeune, veut échapper à une vie subie. Il est porté vers l’écriture. Il ouvre une librairie, aux halles, à Paris en 1972, crée les éditions Plasma la même année et publie rapidement ses premiers livres,Suicide au jour le jour précédé par Les déracinés de l’absurde (1974), Autopsie à vif (1976),De l’apprentissage du dégoût (1979). Le catalogue de Plasma, à visée surréaliste, est tout à fait impressionnant : on y retrouve, entre autres, des auteurs commeTristan Cabral, Gaston Criel, André Hardellet, André Laude,René Crevel, André Frédérique, Jean-Roger Caussimon, Maurice Blanchard, François Bott etLéo Ferré pour sonTestament phonographe (1980). Mais encore lesPoésies complètes de Nietzsche traduites et commentées par Georges Ribemont-Dessaignes (1982) ou les Lettres de Marie du Deffand dont Pierre Drachline appréciait l’écriture noire.
Au début des années 80, et compte tenu de l’exigence éditoriale de sa production dont le commerce est d’un tout petit rapport (euphémisme !), les éditions Plasma doivent mettre la clef sous la porte. Qu’à cela ne tienne, Drachline se lance alors dans une nouvelle aventure et crée les éditions Manya (1985) à Levallois. Dans le même temps, il donne un grand nombre d’articles de critique littéraire pour Le Monde des Livres, pour Libération et devient producteur àFrance Culture. Ses célèbres entretiens radiophoniques avec Louis Calaferte (1987), seront repris plus tard dans un volume intitulé Choses dites (cherche midi, 1997), et lui vaudront l’amitié de l’auteur de La mécanique des femmes.
HélasManya n’aura pas plus de chance que Plasma... Dans toutes ses entreprises éditoriales, Pierre Drachline sera caution personnelle. Pendant 20 ans, il devra chaque mois s’acquitter des dettes que ses sociétés générèrent. Dans son pamphlet, Pour en finir avec l’espèce humaine etles Français en particulier (cherche midi, 2013), il écrit, sombre : « J’ai transmué mes échecs en certitudes. Si j’ai souvent perdu, ce n’est pas d’avoir trop joué mais, au contraire, d’être resté en retrait de l’excès. Entre la canicule et le gel, il n’y a que la médiocrité d’être. Le tempéré. Le flasque ».

Un Combattant de la littérature

En 1993, il entre comme directeur éditorial aux éditions du cherche midi. Il va, là, publier des auteurs importants qui sont autant d’amis chers et dont la liste qui suit n’est pas exhaustive, loin s’en faut : Boris Schreiber, Jean-Claude Pirotte, Raoul Vaneigem, François Bott, Didier Daenincks,Valère Staraselski, Eric Jung, Martin Monestier...
Toute sa vie, Pierre Drachline se sera battu pour les écrivains : « La littérature n’est plus aujourd’hui à l’ordre du jour ou de la nuit. Elle a été effacée du visible. Les écrivains subissent le joug de l’ignorance. Ils ne sont même pas vilipendés, car les stigmatiser serait leur accorder une importance, voire une existence. Leur absence de valeur marchande en fait des transparents ». C’est pour eux que sans cesse il ferraillait. C’est à eux qu’il réservait toute sa tendresse.
Toute sa vie, Pierre Drachline se sera battu pour la littérature. Ceux qui l’ont fréquenté ne lui connurent pas d’autres passions fixes. Ses romans, qu’il s’agissent d’Une enfance à perpétuité (cherche midi, 2000) d’ Une si douce impatience, ou de L’Île aux sarcasmes (Flammarion, respectivement 2006 et 2007), sont autant de déclaration d’amour à la littérature.
Jusqu’à la dernière minute, ce styliste n’a rien cédé sur son combat. Quelques jours avant de nous quitter, il a terminé son dernier manuscrit, Eloge de l’imposture, qui sera publié à l’automne prochain. Il nous laisse un message essentiel : « Qui ne connait pas l’ivresse littéraire ignore qu’il est possible de bondir hors de soi. De s’évader d’un corps dont les limites enchaînent à la morne réalité des choses ». Drachline est en cavale !

Vincent Roy

Le Monde 15 décembre 2015