Valère Staraselski

"Salauds de pauvres" - pour la revue Vendémiaire
Chronique de Valère Staraselski - 2002

Valère Staraselski pour la revue VendémiaireArticle rédigé le 13 mai 2002

Qui méprise le peuple n’a aucune exigence envers lui.
Le plus souvent, il l’ignore ou bien le moque. Mais qui méprise le peuple ne possède pas non plus d’exigence envers soi-même et cultive, du reste, souvent l’anti-intellectualisme.

Que ce peuple soit menacé d’être réduit à l’idéologie consumériste n’est visiblement pas fait pour déranger le petit bourgeois de gauche ou le petit bourgeois de droite qui vit, après tout, assez tranquillement dans le système économique et politique tel qu’il est.

Premier souvenir : j’ai six ans ou sept ans, ce doit être 1963 ou 1964. Et je joue chez un camarade de classe à Bel Air, village de l’Essonne. Il est "riche". C’est à dire que sa maison est belle, spacieuse, claire. Et puis il y a une salle de bains et surtout des toilettes avec une chasse d’eau. Tellement persuadé qu’il me les refusera que pas une seule fois je n’ose lui demander l’accès aux toilettes. Mon irrépressible envie d’uriner me poussera en dehors de chez lui.

Deuxième souvenir : 1994, j’ai trente sept ans et travaille au Cabinet du maire d’une ville ouvrière. A l’intérieur d’une voiture, je me trouve en compagnie de collègues et notamment de la chef de cabinet qui deviendra, par la suite, maire par passation.... La voiture stationne dans une cité devant l’entrée d’un terrain de boules. Après plusieurs mois, plus d’une année d’action pugnace, j’ai fini par obtenir que les services techniques de la mairie leur installe des toilettes qu’ils réclamaient en vain depuis des années. De la sorte, hommes et parfois femmes n’auront plus le seul choix de se libérer à l’extérieur, un peu partout au hasard des murs de la cité. Incitant mes collègues à m’accompagner afin de rencontrer les responsables de l’association de boulistes, retraités, chômeurs, ouvriers, je m’entends répondre par la négative. Ils ne veulent pas entrer dans ce genre d’endroits. J’irai seul, paquet de vignettes de la fête de l’Humanité en mains... La même chose se reproduira un mois plus tard avec la nouvelle équipe de football de la même cité ...

Troisième souvenir : 2002, le Premier ministre de France est interpellé par des ouvriers d’une usine du groupe Danone-LU en fermeture. La caméra filme. De dos, un ouvrier en casquette parle : "Je vous mets au défi de vivre avec quatre mille francs par mois". Jospin, un peu lointain, semble vaguement encaisser. A ses côtés, un homme en costume - cravate sourit. Peut-être, sans doute, ce sourire figure-t-il une défense ? En tout cas, il est aussi, c’est manifeste, une marque de mépris. Le Premier ministre donnera une réponse générale.

Quatrième souvenir : 2002. Au Zénith, des artistes et des intellectuels se rassemblent afin de faire barrage à l’extrême droite. Je découvre le visage de cet homme de théâtre qui a, dans un spectacle célèbre, brocardé les gens du peuple, les pauvres surtout, de manière grossière durant des années notamment à la télé. Appelant ces personnages fictifs, sensés représentés les gens de peu, du nom d’un animal domestique.

Cinquième souvenir : 1999. Cet écrivain, ami de gauche, vivant à Paris, qui s’étonne au téléphone que je persiste à habiter une cité de Seine-Saint-Denis. Ça n’est pas une bonne chose pour ma carrière, m’assure-t’il. Je pense à Saint-François d’Assise mais je me tais. Et puis je bredouille que je n’ai pas les moyens de vivre ailleurs. Extrait d’un article de Jean-Michel Décugis, paru dans le Figaro la même année, pendant la campagne des élections européennes. "La "mutation" donc, mais à partir de la "société réelle" en réinvestissant les terrains de lutte désertés par un PC "trop longtemps en circuit fermé". "Il faut aller voir les gens où ils sont. Le parti doit s’adapter à eux, et pas l’inverse. l’influx doit partir du bas et non du haut, assure le romancier Valère Staraselski, qui vit dans la cité Cachin, à Romainville (Seine-Saint-Denis). L’érosion du PC s’explique par sa déconnexion d’avec le peuple. Il faut maintenant la retrouver. C’est un combat de chiens, impossible à mener avec les technocrates".

Sixième souvenir : août 199...Nous sommes dans un car qui, avec sept autres, rentrent du Touquet Plage à Romainville. C’est la sortie à la mer organisée par les communistes de la ville. Le peuple des cités est là : huit cars qui se vident dans une station essence au bord de la route : quel spectacle, quelle joie ! Et puis le lendemain, lorsqu’on fait le compte des adhésions au Parti, un camarade, ancien secrétaire fédéral, qui n’y était pas, m’interroge : Il y avait beaucoup des nôtres ? "
 Comment ça, quels nôtres ? demandais-je alors.
 Enfin, je veux dire pas des Arabes... me répond-t’il.

Septième et dernier souvenir : C’était il y a quelques jours. La même matinée, deux personnes adhèrent au PCF. L’un, journaliste au chômage, croisé dans la rue me le demande ; l’autre, - je l’apprends par téléphone -, un jeune technicien supérieur dont la camarade qui fait le ménage à la section, dit qu’il a une bonne situation. Les deux nouveaux adhérents sont Français d’origine Nord Africaine. Ils sont venus au PCF le plus naturellement du monde.

Pour un progressiste, le mépris du peuple me paraît être la faute humaine et politique la plus grave qui soit. A cet égard, rappelons que les Evangiles sont disponibles en Librairie, en Bibliothèque. Ou bien engageons-nous à ne pas nous arrêter à Zola qui a toujours eu peur du peuple et remontons jusqu’au grand Victor Hugo.

Salauds de pauvres ! disait Marcel Aymé. Il serait temps de dépasser toute attitude compassionnelle.

Evidemment, comme tout à chacun, je sais qu’il y a des tendances lourdes : fin de l’Union soviétique d’où sont nés les partis communistes et non le communisme, contre-offensive libérale depuis trente ans, mondialisation, révolution informationnelle, nouvelles exigences démocratiques...

C’est justement, parce que je le sais, qu’entre gauche caviar et une gauche criarde et contre une droite qui n’a jamais et qui ne fera jamais aucun cadeau au peuple, je choisis une gauche démocratique donc populaire.