Valère Staraselski

Slavoj Zizek "Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il
d’être défendu ?" et Alain Badiou "Saint-Paul La fondation
de l’universalisme" - Critique de Valère Staraselski - 2006


Troubler les idées reçues et autres conformismes est le boulot des philosophes. Avec « Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ? », Slavoj Zizek s’oppose frontalement au réquisitoire libéral ou libertaire archi-usé qui identifie « un messianisme commun au christianisme et au marxisme » et qui ramène les partis communistes à des sectes religieuses sécularisées.

Pour lui, cet argument ne s’applique qu’à « un marxisme dogmatique, sclérosé et aucunement à son noyau émancipateur ». A la suite du décisif « Saint-Paul, la fondation de l’universalisme » d’Alain Badiou, Slavoj Zizek remet les choses à l’endroit : « Au lieu d’adopter cette position défensive qui laisse à l’ennemi le choix du lieu de l’affrontement, avance t-il, il s’agit d’inverser la stratégie en assumant pleinement ce dont on est accusé : oui, le marxisme est dans le droit fil du christianisme ; oui le christianisme et le marxisme doivent combattre main dans la main, derrière la barricade, le déferlement des nouvelles spiritualités. L’héritage chrétien authentique est bien trop précieux pour être abandonné aux freaks intégristes. »

Voici donc pleinement reconnu ce que Pasolini s’est littéralement tué à nous dire. Paul, le constructeur du christianisme, l’un des tous premiers théoriciens de l’universel, « a désiré détruire de façon révolutionnaire un modèle de société fondé sur l’inégalité sociale, l’impérialisme et l’esclavage » (Badiou).
C’est la raison pour laquelle, prévient Zizek, que l’on fait fausse route à vouloir opposer le message originel des Evangiles à une prétendue trahison par le fondateur de l’Eglise, de la même manière qu’en opposant le premier Marx à la « sclérose » léniniste. Car c’est bien l’action de Paul qui a permis de fonder théoriquement le message révolutionnaire chrétien, par ce « geste inouï qui est de soustraire la vérité à l’emprise communautaire, qu’il s’agisse d’un peuple, d’une cité, d’un empire, d’un territoire ou d’une classe sociale » (Badiou).

C’est ce qu’avaient compris les contre-révolutionnaires de 1789 ou bien Nietzsche qui nourrissait une véritable haine de l’universalisme paulinien  : « le poison de la doctrine des droits égaux pour tous, c’est le christianisme qui l’a répandu le plus systématiquement ». Mais aussi lesnazis qui voyaient dans les chrétiens « les bolchéviks de l’antiquité ». Que le résistant Louis Aragon opte pour « une conception de l’homme que peuvent avoir le communiste et le chrétien, mais le nazi jamais », n’incite-t’il pas les progressistes à considérer le christianisme autrement que comme une vieillerie à odeur d’encens mais comme un trésor configurateur d’émancipation humaine ?

C’est bien l’objet de l’ouvrage de Slavoj Zizek qui, s’appuyant notamment sur la psychanalyse, engage à un effort de connaissance de la subversion contenue dans le christianisme afin de mieux appréhender et peut être faire vivre celle portée par le communisme. Que des philosophes du niveau de Slavog Zizek et de Alain Badiou participent, par leurs travaux, à la reconquête théorique de la pensée émancipatrice et, sans qu’il soit besoin pour cela de partager toutes leurs opinions, ne peut que convier les militants à la très salutaire exigence intellectuelle.

 Valère Staraselski

 Fragile absolu - Pourquoi l’héritage chrétien vaut-il d’être défendu ? - Slavoj Zizek - Flammarion - 240 p - 20 euros- 2006

 Saint-Paul - La fondation de l’universalisme - Alain Badiou - PUF - 120 p - 11 euros.1997