Valère Staraselski

T’as voulu voir Vierzon
L’Humanité-Dimanche 25 juillet 2019

Vierzon ? La chanson de Brel, assurément… C’est ainsi que cette sous-préfecture du Cher vient d’inaugurer une nouvelle place (Jacques Brel) pour changer l’image de la ville comme l’affiche en une le journal municipal. Qu’en est-il vu de près ? Ca commence par l’Hôpital. Lieu crucial. Ici comme ailleurs, on est y soigné, on y est guéri, on y meurt, on y naît, cinq cent naissances par an annoncent Maryvonne et Mélanie, aide-soignante en gynécologie et auxiliaire puéricultrice à la maternité, toutes deux syndicalistes FO. Lors de la lutte - parce que ça s’appelle comme ça ces 5 mois de grève difficiles, tendus, éprouvants, très - contre la fermeture de la maternité et du service de chirurgie, 500 poupons de cellophane ont été accrochés aux grilles de l’entrée. Mais aussi, 2000 personnes pour deux marches blanches, une chaîne humaine autour des bâtiments et occupation avec des tentes, une marche des femmes enceintes entre Vierzon et Bourges où il était prévu de transférer la maternité. Parce qu’à Vierzon, bien des femmes viennent accoucher à pied. Pourquoi donc ? « Parce qu’elles n’ont pas de voiture »… Des soutiens ? Oui. Nicolas Sansu, le maire ainsi que le président de la Communauté de communes, François Dumon, en tête, chaque matin, « n’ont pas fait semblant » ! L’ensemble du vierzonnais aussi. L’entrée des villages alentour, tel Gracay et son musée de la photo, ou bien : Thénioux soutient l’hôpital de Vierzon. Thénioux qui longe le canal du Berry, ruban miroitant sous l’ombre des platanes. Thénioux et son monument sur la route de Genouilly - une barque plantée en terre, dressée vers le ciel - en mémoire des passeurs résistants de la ligne de démarcation Raymond Toupet abattu dans sa barque ou Joseph Le Cam mort en déportation. A quelques kilomètres, Genouilly, son cimetière abritant des sépultures de soldats du commonwealth et d’autres, frappées du marteau et de la faucille côtoyant les croix du Christ. Oui, elles en ont fait l’expérience, ces femmes syndicalistes : Vierzon est historiquement une ville de combat ! Et très loin de l’image négative couramment véhiculée. La toute nouvelle responsable locale du Berry républicain, Sabrina Vernade, ne dit pas autre chose. Pourtant, venant de Bourges, elle partageait - Ô combien - cette vision d’une ville dégradée où les gens vivent dans un grand dénuement, avec de gros problèmes de sécurité. En fait : « une ville chaleureuse avec des gens solidaires. » La sécurité ? La municipalité a agi fortement et le problème a, selon elle, été bien traité. Dans le centre, des commerces ferment mais d’autres ouvrent. En définitive, « une bonne surprise que Vierzon ! » François Dumon, à la tête de la Communauté de communes, confirme, donne des exemples, des chiffres, insiste sur la bataille pour une économie indissociable des actions solidaires et environnementales. Résultat de la décision politique de la nouvelle majorité élue en 2008 : implantations, développement d’industries existantes, mise en place de formations au lycée Brisson. Bref, les entreprises viennent et ne repartent pas. Une dynamique qui entraîne des adhésions en cascade de communes voisines. Bien sûr que les habitants ont été traumatisés par les écroulements successifs d’entreprises. Beaucoup sont encore comme Saint Thomas d’Aquin qui ne voient pas encore cette réalité qui place l’emploi industriel vierzonnais au plus du double de la moyenne nationale. « On est pas sorti de misère, mais les actions qu’on mène portent leurs fruits. On est sur des projets, avant on était que dans le défensif » assure l’élu. Autre bon point, comme le clame Caroline la vierzonnaise revendiquée, employée au très étonnant et instructif musée de Vierzon, « ici c’est la ville à la campagne » ! Florence, la directrice, originaire de Châteauroux renchérit en reconnaissant, dans un large sourire, vivre dans un cadre de vie privilégié. Du reste, certains employés d’entreprises dont le siège est à Paris ont le projet d’habiter Vierzon. Il est vrai qu’alentour la forêt domine et que les foins embaument l’air. Dans cette ville de province, il n’est guère possible de dissocier l’histoire - donc la politique - et la culture. Pour Jean-Pierre Bambier, éditeur notamment d’une incontournable Histoire de la porcelaine (édition Valmont), de Henri Letourneau par ailleurs maire de Dampierre en Gracay, comme pour Kader, médiateur de la ville pour qui « Vierzon bouge très bien, avec des élus sur tous les fronts », la visible relance économique s’accompagne d’une dynamique culturelle qui n’est possible que grâce aux infrastructures municipales ainsi qu’à la vie associative qui font lien. Kader dont l’action envers les jeunes consiste à « les respecter, lesécouter, les orienter », n’oublie pas de spécifier que bien sûr : « il faut éduquer la troisième génération de l’émigration ». Edwige Sallé, quant à elle, co-animatrice du café repaire, trésorière d’une association de cinéma, avec projections suivies de débats tous les vendredis, en tant que membre de la direction collégiale- signe des temps ? - de la section du Pcf, défend un parti qui n’est pas d’entre-soi. C’est de cela dont il est question avec Max Tauzin, cet ancien de chez Matra à Salbris, habitué des luttes comme délégué Cgt. Homme passionné et doux, il raconte… Fin novembre, après une manif durant laquelle le dialogue entre Gilets jaunes et syndicaliste fut impossible, Max se décide à se rendre sur le rond-point des Forges où sont deux groupes. Le dialogue s’engage dans le premier, d’abord sur les revendications puis très vite les « chômeurs profiteurs » et les « tous pourris » l’emportent dans les propos jusqu’à qu’il se fasse traiter lui-même d’espion ! Certains s’interposent : « il a le courage de venir nous voir » ! Moins de violence dans le second groupe en dépit de la présence de militants d’extrême droite. Pour le syndicaliste, le terrain est comme miné mais il s’engage néanmoins à revenir vêtu de son gilet jaune. On ne le croit pas vraiment. Or, le lendemain, à 8 heures, il est bien accueilli. Il repartira à midi. Ce sera ses horaires, du lundi au samedi, tout au long du mouvement. Ce faisant, il participe aux échanges, apporte ses arguments et forcément la contradiction. Au fil du temps, sa parole est respectée, même lors d’affrontements d’idées très opposées. Il est écouté, parfois entendu. On lui demande d’être plus actif. Il propose alors un cahier de revendications écartant les désaccords pour ne retenir que ce qui fait l’unanimité. Ce qui sera réalisé collectivement. Lors d’une assemblée générale de coordination et malgré les obstructions des militants RN tentant de grossièrement d’escamoter les revendications touchant à la justice fiscale, le texte commun aux ronds-points de Vierzon sera voté et distribué à 5000 exemplaires à la population. Qu’une partie exaspérée, souffrante et en détresse de celle-ci ait relevé soudain la tête lui inspire ces mots : « notre place n’est pas à côté du peuple mais avec ! » A l’opposé d’une certaine cécité de gauche et de celle assumée des sachants auto-désignés, Max Taupin a la conviction que la politique ne peut s’exercer sans les gens comme ils sont et non comme on voudrait qu’ils soient. Et que, en politique, cela nécessite ce que Louis Aragon appelait dans son tout dernier roman : « la remise en question de la chose jugée ». Retour ligne automatique
Anne-Sophie, contrôleuse SNCF, David, conducteur de train fret, Jean-Claude, ouvrier hautement qualifié qui après un licenciement se fera conducteur de car, pensent eux aussi à l’instar de Florence que, dans l’affrontement contre la logique tout financier, « les vierzonnais sont investis dans leur ville, ville en souffrance. Mais Vierzon à une carte à jouer et elle est entrain de la jouer. » Propos que le maire, Nicolas Sansu, commente : « oui, ça a changé parce que la question des services publics structurants - en l’occurrence l’hôpital - a fait l’objet d’une bataille constitutive qui a été la mère de toutes les batailles ! Pour une ville-centre comme la nôtre, s’il n’y a pas d’hôpital, eh bien, c’est fini, les gens partent. » Analyse et constat. « En responsabilité » est l’expression qui revient le plus souvent chez cet élu énergique et au caractère entier. « Oui, continue-t-il, nous n’avons pas besoin de soins palliatifs mais de guérison ! Il s’agit de se faire respecter auprès de l’Etat et d’être les porte-voix du territoire. En tant que républicain c’est ce que je dois aux gens qui nous ont confié une responsabilité. » A suivre donc, notamment à l’automne sur France télévision avec un documentaire sur ce vierzonnais en responsabilité.Retour ligne automatique
Dernière chose. Pour rejoindre la capitale, le trajet dure 1h35 en train, 3 heures par la route, quand il n’y a pas d’embouteillage.

Valère Staraselski

Quelques jalons pour l’histoire de Vierzon.
1779 : 1ère usine, la forge du comte d’Artois.
1816 : 1ère fabrique de porcelaine. 1823, Marc Schoelcher mécanise l’usine. Son fils Victor, député, fera supprimer l’esclavage aux colonies en 1848.
1831-1839 : Construction du canal de Berry. 1845 : Arrivée du chemin de fer à Vierzon.
1848 : Atelier de fabrication de batteuses à Vierzon, quartier de la gare.
1850 : Fondation de la porcelainerie d’Alexis Larchevêque et Armand Bazille.
1879 : Société Française de Matériel Agricole puis Agricole et Industriel (SFMAI). 1886 : Grande grève dirigée par… des porcelainiers.
1908 : Naissance de Vierzon-Forges. Les patrons de ce quartier, où les usines ont proliféré, veulent leur municipalité.
1920-21 : Larchevêque invente la participation des ouvriers aux bénéfices et confie l’usine à son fils Pierre pour se consacrer aux pompiers.
1925 : Porcelaine : seize usines, 1500 ouvriers.
1937 : Fusion des quatre Vierzon. Georges Rousseau maire PCF de Vierzon-Village, devient maire du grand Vierzon. Révoqué en 1939, déporté à Auschwitz, il revient et est réélu en 45.
1952 à 1960, dix entreprises de porcelaine disparaissent de 1952 à 1960.
1958, la Société Française rachetée par l’américain Case : 1000 licenciements.
1959 : Léo Mérigot maire PCF.