Valère Staraselski

Valère Staraselski : La fête de l’Huma, une oasis dans un monde sans pitié
Christophe Lehousse - Seine-Saint-Denis Le Magazine - 13 septembre 2021

Militant communiste, Valère Staraselski n’a pratiquement pas loupé une édition de la Fête de l’Huma depuis ses 16 ans. Auteur de l’ouvrage de référence, « La Fête de l’Huma : 80 ans de solidarité », cet écrivain revient sur l’histoire intime que cet événement hors norme a nouée avec la Seine-Saint-Denis.

Voilà 50 ans que la Fête de l’Humanité se tient à La Courneuve/Dugny, d’abord au parc Georges-Valbon puis à l’Aire des Vents. Si en 1971, la Fête s’implante là-bas, c’est parce que la Seine-Saint-Denis incarne à l’époque la banlieue rouge ?

Oui. De 1960 à 1965, la Fête aura fait un premier passage à La Courneuve, au parc des sports. Elle y revient en 1971 parce que ces municipalités sont communistes et ensuite parce qu’il y a de la place. Le parc Georges-Valbon, nouvellement créé, est le plus vaste espace que la fête ait jamais eu à sa disposition. Je dirais qu’on peut distinguer trois grandes périodes dans ces 50 ans où la Fête se sera tenue à La Courneuve : de 1971 à 1989, césure majeure qui marque l’effondrement de l’URSS. Durant cette période, la Fête prend de la force, avec des artistes et des personnalités invités du monde entier : les Who, Joan Baez, Johnny Clegg… De 90 jusqu’à l’aube des années 2000, la Fête se veut un pôle de résistance à la mondialisation capitaliste. Et depuis 2000 jusqu’ à aujourd’hui, il s’agit d’un lieu où on essaie de construire un rassemblement de gauche populaire et actif…

Comment peut-on expliquer le succès et la longévité de cet événement ?

Trois raisons à mes yeux. D’abord, c’est un lieu de démocratie : on y débat des sujets les plus variés, avec les points de vue les plus divers, à l’exception de l’extrême droite. C’est en particulier un endroit où les couches populaires se saisissent de la parole. Ensuite, c’est un lieu de bouillonnement culturel intense et accessible à tous. Le village du Livre accueille des tonnes d’auteurs, on y a vu des ballets de Béjart ou des expos de Picasso, certains des plus grands artistes s’y produisent, pour un tarif d’entrée accessible. Enfin, c’est un lieu politique, pas tellement au sens politicien du terme, mais au sens de la chose publique. Chacun peut s’y saisir de politique pour essayer de construire un monde meilleur, c’est une communauté éphémère de trois jours qui transcende tous les communautarismes.

Comment vivez-vous le fait que la Fête de l’Humanité quitte la Seine-Saint-Denis ? Aura-t-elle encore la même saveur ?

C’est sûr que pour quelqu’un comme moi, qui a vécu la Fête de l’Humanité tant de fois à cet endroit et qui en plus a habité 20 ans à Romainville, c’est un petit pincement au cœur. Mais en même temps il faut accepter, c’est une page qui se tourne, et il nous en reste d’autres belles à écrire. Une chose en revanche ne changera pas, c’est cette impression qu’on ressent quand on entre dans cette fête : il y a une espèce d’immédiateté, de proximité avec l’autre. C’est une oasis dans un monde sans pitié, où chacun vaut un. Et ça, j’espère bien que ça perdurera.

Valère Staraselski est notamment l’auteur du « Parlement des Cigognes », Prix de la Licra 2018

Christophe Lehousse