Aragon, il y a 40 ans, une nuit ou l’autre
À l’occasion du 40e anniversaire de sa disparition, la maison Elsa Triolet-Aragon rend hommage à Louis Aragon tout au long de l’année 2022. À commencer par ce mardi 25 janvier au Petit Palais, à Paris, de 14 à 17 heures.
" Ainsi Chaplin est mort dans la nuit de Noël. Cela devait bien arriver, une nuit ou l’autre, cela arrive à tout le monde" écrivait Aragon dans L’Humanité du 25 décembre 1977 à propos du décès du génial acteur-réalisateur britannique. Pour Louis Marie Alfred Aragon, cela est arrivé un 24 décembre. En 1982, il y a 40 ans.
Qu’est-ce qu’Aragon, qu’est-ce que l’écrivain Aragon ? Ceci par exemple : un étudiant me déclare que lire de grands romanciers l’incite à lire d’autres romanciers et que lire les romans d’Aragon déclenche en lui le désir d’écrire. Voilà, je crois, une parole qui serait allée droit au cœur de celui qui affirmait : " Et tout de même dans les choses écrites, le caractère le plus important pour moi est l’invention. " L’invention ou, autrement dit, le passage d’une écriture véhicule à une écriture qui cherche et qui, cherchant, devient « instrument de connaissance ». De co-naissances, de naissances simultanées du lecteur et de ce qu’il ne voyait pas auparavant. Une littérature qui permet de découvrir en vous mettant vous-même en état de découverte. La littérature, cet« être qui entraîne le savoir au-delà de l’avoir. " Soudain, dans le chemin, comme une clairière… On apprend à perte de vue en lisant Aragon, sur le monde, ses espoirs et ses déboires, sur ses ressorts et sur soi-même : " Aimer et être aimé tout le reste n’est que feuille morte" …
Après sa mort, sa militance communiste l’aura laissée, lui et son œuvre prolifique et exigeante, souvent dérangeante, quelques décennies en enfer puis peu à peu au purgatoire. Que d’injures, de moqueries, de mépris, pire, de silence à son égard ! Bref d’ignorance : "On ne comprend pas alors on accuse ! " écrivait- il déjà dans les années 30. A tel point qu’il s’est parfois trompé sur son œuvre. Ou plus précisément quant à la réception de celle-ci. Peut-être, dans un moment de doute envahissant, conjurait-il l’avenir, en prédisant dans La Mise à mort : "De toute façon, il n’y a le choix qu’entre l’injure et l’oubli ou l’intégration au système qui l’emportera dans l’administration des choses humaines. " Oui, l’auteur de La Semaine sainte se trompait, parce qu’en vérité, ça a fini par se voir, par se savoir, par s’apprécier qu’on a affaire à un grand classique, donc à un auteur résolument moderne. Donc vivant !
Valère Staraselski, auteur notamment de Aragon, la liaison délibérée.