Valère Staraselski

Culture pour tous, haute définition
Ouvrage collectif
Essai

Culture pour tous, haute définition, ouvrage collectif aux éditions Bérénice, 2002


Sans la culture, et la liberté relative qu’elle suppose,
la société, même parfaite, n’est qu’une jungle.
C’est pourquoi toute création authentique est un don à l’avenir.
Albert Camus

Entendons-nous bien, est cultivé celle ou celui qui, s’ouvrant à des expériences ou des aventures créatrices humaines offertes dans leur diversité, le plus souvent artistiques, s’en sert pour se constituer un être sur lequel aucune aliénation n’a prise. En d’autres termes, possède la culture celle ou celui qui sait ou ose activement et perpétuellement puiser dans le trésor des œuvres humaines afin de s’émanciper soi-même de ce qui barre son existence ou déprécie sa vie. A ce titre, la culture résulte d’un travail et Gorki a raison de rappeler que celle-ci « commence là où le travailleur et le travail sont traités avec respect ».

Proust ne dit pas autre chose lorsqu’il écrit ... qui s’est mis au travail pour la gloire et s’est du même coup détaché du désir de la gloire... , rabattant l’intérêt sur le labeur davantage que sur le mobile. De manière indissociable, l’activité culturelle a à voir à la fois avec la connaissance de l’autre et la production de sens. S’opposant au Néant, elle est d’essence créatrice. Elle est - dans cette existence où chacun se trouve jeté puis rejeté, traversant le mystère de vivre, cet infracassable noyau de nuit dont parle Breton - ce qui rassemble autour d’un feu intérieur partagé par les hommes que l’on appelle Sens. A l’échelle de l’histoire, la culture est ce qui remplace la religion. Elle est ce qui relie. Tout homme cultivé est un théologien et pour l’être il n’est pas indispensable d’avoir la foi assure Borgès. Ou Proust encore : L’artiste athée... se croit obligé de recommencer vingt fois un morceau dont l’admiration qu’il excitera importera peu à peu son corps rongé par les vers, comme le pan de mur jaune que peignit avec tant de science et de raffinement un artiste à jamais inconnu, à peine identifié sous le nom de Vermeer.

La religion élaborant du sens sous le sceau de la transcendance, il reste à la culture à assurer et à assumer le mouvement perpétuel fait d’interrogations illimitées nécessaire à toute vie.

C’est ainsi que la culture est le contraire d’un malentendu et de la gêne que cela occasionne puisqu’elle est harmonie.
En s’attachant sans cesse à réaliser du sens, elle relève et révèle ce qui est à la fois unique et universel. Affirmation du vivant conscient de lui-même face au Néant, la culture représente cette dynamique organisationnelle forte et fragile qui échappe au Dogme et à tous les intégrismes. Le but c’est le chemin lançait Goethe, le faire l’emporte toujours. En lui réside la vérité. Mais pas n’importe quel faire, car demeurent à travers les âges, l’esprit, la spiritualité ou les valeurs immatérielles dignes du mystère d’être qui manquent cruellement à notre société.

Il est une évidence : la culture a besoin de la politique et des politiques, comme celle-ci et ceux-là sont en retour menacés d’affaissement sans son concours.

En son temps, sans Madame de Pompadour et le ministre Chrétien Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert n’aurait jamais vu le jour. En cette époque d’Ancien Régime, le pouvoir n’hésitait pas à nommer d’Alembert, malgré sa grande pauvreté, à l’Académie.

Aujourd’hui, cela paraîtrait incongru et serait impossible.

Aussi, le combat de la culture pour tous se doit d’entendre l’avertissement de l’humoriste Guy Bedos : de tous les intégrismes, celui de l’argent est de loin le plus dévastateur. Il suffirait de regarder autour de soi, de considérer la plupart des télévisions, radios et autres journaux pour mesurer, jour après jour, l’étendue du désastre : vulgarité et bêtise à tous les étages. Partout s’étalent les effets de la marchandisation des esprits avec, en miroir, celle de la lepénisation de ces mêmes esprits. Dans Le théâtre et son double, Artaud écrit : Jamais, quand c’est la vie elle-même qui s’en va, on n’a autant parlé de civilisation et de culture. On a l’impression d’y être ! La vie étouffe et meurt sous le fric tandis que le conformisme façon branché sert de couvercle. Une régression anthropologique est en cours. Les politiques ont des responsabilités. Le cinéaste Jean-Henri Roger résume cela parfaitement : Cette démission des politiques face à la soi-disant puissance naturelle de l’économie est l’aspect le plus terrifiant de la mondialisation . En matière de culture, De Gaulle savait de quoi il retournait, lui qui créa le ministère de la culture, le confiant à un authentique créateur, écrivait : La véritable école du Commandement... est la culture générale . Tête de pont de la civilisation, la culture permet la création...

Travaillant selon le mot de Bourdieu à universaliser les conditions d’accès à l’universel , il s’agit de porter haut l’exigence d’une culture pour tous. Pour cela, les plus conscients continueront à pratiquer l’interpellation des politiques, la création d’un rapport des forces pour exister et être entendus en même temps que le travail au quotidien visant à assumer la culture pour la fonder à nouveau. La liberté sans responsabilité est une sorte de tic d’enfant de riches. Or la culture est ce qui permet d’accepter la mort sans vivre comme des porcs. Elle se consomme et se consume sur le mode de l’être et non de l’avoir. Elle est aussi vitale à l’homme que son émancipation sans cesse recommencée.

Valère Staraselski, extrait de Culture pour tous,haute définition, ouvrage collectif aux éditions Bérénice, 2002

P.S. :
 1.La véritable école du commandement est la culture générale.

 2. L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de la Princesse de Clèves... Imaginez un peu le spectacle.

L’auteur de la seconde citation est Nicolas Sarkozy. Preuve que le niveau monte.

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions
Bérénice de : Culture pour tous, haute définition, ouvrage collectif
, de
Voyage à Assise ,
Garder son âme ,
Au nom de la loi , cosigné avec Didier Daeninckx , Aragon, l’invention contre l’utopie .

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions de L’Harmattan : de Face aux nouveaux maîtres , Il faut savoir désobéir , et aussi d’
Aragon, l’inclassable ,
Aragon, la liaison délibérée .

Valère Staraselski est l’auteur aux éditions du Cherche midi de :
La Fête de l’Humanité, 80 ans de solidarité ,
Un siècle de vie ouvrière avec Denis Cohen, Un siècle d’Humanité 1904-2004, avec Roland Leroy et Pierre Clavilier.