Garder son âme publié aux éditions Bérénice
Il est des hommes dont les convictions, la pensée et l’engagement politique ne se laissent pas entamer par les accidents, voire les désastres de l’histoire, même si surtout ces accidents étaient prévisibles - et parfois prévus par eux.
Des écrivains, des intellectuels auprès desquels chemine encore, comme compagnon de la lucidité, une foi inébranlable et persistante dans la possibilité d’un autre monde, d’un avenir de solidarité et de partage entre les hommes. Ceux-là ne sont pas des engagés médiatiques, des intellectuels TGV, à la recherche frénétique de causes humanitaires ou autres opportunités aptes à faire progresser leur carrière de professionnel de l’indignation ; ceux-là ne vivent ni ne construisent leur création dans une bulle détachée du réel, pas plus que dans celle, convenue, de la dénonciation politiquement correcte des outrages infligés aux Droits de l’Homme. Ils ne se contentent pas de faire des discours du haut de leur piédestal, ou des voyages éclairs sur les théâtres d’opérations chauds - et à la mode ! - de la planète. Ces hommes vivent l’engagement dans leur vie quotidienne, au jour le jour, au milieu des citoyens de cette France dite « d’en bas » ; ils engagent leur pensée et leur action sur la durée, sans dissocier leur création artistique de leur vie et de leur action politique qui exige rigueur, honnêteté, fidélité. Ces écrivains, ces intellectuels sont rares. Valère Staraselski est de ceux-là. Et le présent ouvrage en est la démonstration la plus convaincante.
Les textes réunis ici, constitués de lettres, préfaces, articles de presse, allocations, rédigés de janvier 2000 à juin 2003, nous font revivre des moments particuliers de réflexion et d’action sur des thèmes culturels, sociaux et politiques, qui ont traversé ces presque trois années : défense du service public, lutte contre la marchandisation de la culture, contre le prêt payant en bibliothèque, pour les sans-papiers, etc. Le rapprochement de ces moments, de ces situations relatés ici dans la perspective du combat politique, mettent en exergue les profonds bouleversements que la France et le monde ont vécus.
En publiant ces textes de Valère Staraselski témoin et acteur engagé dans son temps, les éditions BERENICE, fidèles à leur démarche, raniment notre mémoire vive et nous offrent le recul nécessaire pour forger des outils de pensée et d’action aux enjeux et aux combats qui s’annoncent.
– Extrait de la préface de Christian Rome
Garder son âme
septembre 2003
Christian Rome préface avec une justesse parfaite l’ouvrage d e Valère StaraselskiGarder son âme . Il ne s’agit donc pas de la paraphraser, mais d’y ajouter des réflexions personnelles sur quelques thèmes qui n’y figurent pas.
Pourtant, un de ces thèmes est tout à fait récurrent dans l’ensemble de l’œuvre de cet auteur : l’altruisme, considéré comme le forgeron initial, essentiel ( au sens étymologique du terme) de la personnalité de chaque être humain, donc de sa liberté. Je l’ai déjà relevé et commenté dans des réflexions antérieures, en insistant sur cette donnée spécifique de l’Homme, qui fut l’une des pièces maîtresses du transformisme darwinien. « Garder son âme » est une nouvelle et forte illustration de ce fait. Non seulement parce que 12 chroniques sur 50 font référence explicitement à ce concept ( sans compter toutes celles où il est sous-jacent), mais surtout parce que l’auteur y théorise, citations et expériences diverses à l’appui, de manière convaincante ( à mon sens...). A titre d’exemple, citons quelques phrases (très résolues !) : « La victoire suprême...se gagne en allant vers l’autre...sans cet échange, sans l’autre, l’identité individuelle ne peut pas se construire. », ou encore « La présence d’autrui...se révèlera comme étant consubstantielle de se créer. », ou bien, citant Bernard Giusti, « La décision de ne pas être sourd à l’autre se révèle un moyen sûr de pouvoir dire Je sans s’abuser. ». Ainsi donc, l’engagement de l’intellectuel (mais pas seulement lui !) dans les domaines les plus divers, social, politique, littéraire, artistique et plus généralement culturel, n’est pas seulement une affaire morale, une question de sens de la solidarité dont certains seraient dotés et d’autres pas, mais d’abord une condition initiale de sa liberté. On peut , à ce sujet, interpréter la photo de cet enfant africain (1ère de couverture) comme une interpellation de celui-ci au lecteur : « Je suis toi, alors rejoins moi...). Exercice difficile, donc, que l’altruisme : je ne peux m’empêcher d’ évoquer à ce sujet l’excellent article de Gérard Mordillat, paru dans « Le Monde diplomatique » de ce mois et intitulé « Eloge du flou » (au sujet du cinéma, mais qui va au-delà de cet art) ; Citons en un passage : « Le flou permet d’atteindre la réalité dans ses profondeurs (citant F.Bacon)...Le flou prononce l’éloge du doute...Il ne propose rien d’autre que de s’interroger sur ce que l’on voit, quelqu’un ou quelque chose d’autre. ». A mon sens, s’il faut ne pas confondre l’âme et le caractère, comme dit ailleurs V.Staraselski, alors l’altruisme est ce positionnement qui ne s’arrête pas aux apparences ( le caractère) et cherche à comprendre le non- immédiatement visible (l‘âme).
Je tiens à ce point du raisonnement, et pour ne pas déformer la pensée de l’auteur, ajouter à ce qui précède, trois remarques. Premièrement, la nécessité d’apprendre de l’autre n’exclue pas du tout la nécessité pour l’autre d’apprendre de moi. Il s’agit d’un lien dialectique, excluant tout autant l’effacement de soi que celui de l’autre. L’autre a autant à apprendre de moi que j’ai à apprendre de lui ( j’y reviendrai au sujet de la chronique « Allocution du 9 mars 2000 » Deuxièmement, le doute comme un des fondements de l’altruisme, n’est pas antinomique de la connaissance objective de l’autre ou de la réalité et de la prise de parti ; il est au contraire un des moyens d’y accéder : nier cela reviendrait à s’installer dans un relativisme confortable, assez à la mode malheureusement en ces temps du « libéralisme »- roi. Toute la pratique concrète de l’auteur de « Garder son âme » en est une démonstration éclatante. Troisièmement, ce qui vaut pour les individus vaut tout autant pour les groupes d’individus ou collectivités ou communautés diverses. A mon sens, la conception dialectique de l’altruisme peut s’étendre à celles-ci, de la même manière que les mécanismes darwiniens sont actuellement appréhendés non plus seulement au niveau des individus mais aussi à celui des groupes d’individus (espèces, clades, etc...). A mon sens, tout groupe humain - parti politique par exemple- peut s’enrichir par le contact avec tout autre groupe humain tout en l’enrichissant, ce qui suppose chez lui un socle collectif de connaissances dûment validées par sa pratique ancienne ou actuelle. La question me semble essentielle et m’amène, précisément, à formuler quelques réflexions relatives à la chronique « Allocution du 9 mars 2000 ».
Dans cette allocution, rappelons que l’auteur formule divers questionnements secouant alors (et encore aujourd’hui, 11 ans plus tard...) la collectivité des Communistes, encore membres ou non du P.C.F. L’auteur rappelle la donnée de départ : « Le P.C.F. ne doit pas bouger mais bel est bien changer, lui, ses structures, sa manière de faire et de penser,, sa presse, tant il est vrai que le contact a été perdu et que cela est à terme mortel ». C’est une évidence. Tout le problème est de savoir ce qu’il faut changer et comment. Au motif que les contradictions internes au capitalisme, mais aussi le développement inouï des connaissances et des forces productives ont remodelé profondément les rapports sociaux, les besoins et les désirs des couches populaires (au sens large du terme) « au point que la demande d’accomplissement, de réalisation, d’émancipation en un mot, s’élabore et s’exprime de manière inédite » comme l’écrit V.Staraselski, faut-il, pour les communistes et leur Parti aller à la rencontre des autres, de l’Autre, en renonçant à leurs acquis historiques spécifiques, en « oubliant » le matérialisme historique , leurs objectifs révolutionnaires de destruction du capitalisme et la lutte idéologique qu‘ils impliquent, bref en renonçant à « garder leur âme » ? Tout cela est-il donc incompatible avec la notion de « programme partagé » ? Je ne le pense pas. Or je trouve imprécises ou ambiguës certaines formulations de l’auteur dans sa conférence .
« Les habits que nous portions se sont passablement démodés » : quels habits ? « Créer la démocratie participative » : qu’est-ce à dire ? « Transformer l’action politique dont les termes sont totalement rénovés » : de quelle manière ? « Reconnaître que nous ne savons pas ce que nous devrions savoir ne me semble pas un recul » : oui, assurément, trois fois oui, mais que devrions nous savoir et que nous ne savons pas ? Certes j’ignore si cette allocution était une introduction à une discussion ouverte ou une intervention parmi d’autres : dans le premier cas, on peut comprendre la forme lapidaire et ouverte du questionnement ; D’autre part, elle date désormais de onze ans ; les choses ont « bougé » depuis. II n’est pas sûr que mes interrogations soient pour autant devenues obsolètes et peut-être l’auteur s’exprimerait-il aujourd’hui différemment ? Seul lui pourrait nous le dire...Mais au fond, un texte dérangeant n’est-il pas salutaire ?
En conclusion, lisez ce livre ; il vous aidera à garder votre âme !
Vincent Ferrier
Valère Staraselski est l’auteur aux éditions Bérénice : de Garder son âme ,
Voyage à Assise ,
Culture pour tous, haute définition ,
Au nom de la loi , cosigné avec Didier Daeninckx , Aragon, l’invention contre l’utopie .
Valère Staraselski est l’auteur aux éditions du Cherche midi de : La Fête de l’Humanité - 80 ans de solidarité avec Denis Cohen , Un siècle d’Humanité 1904-2004, .
Valère Staraselski est l’auteur aux éditions de L’Harmattan : de Face aux nouveaux maîtres , Il faut savoir désobéir , et aussi d’
Aragon, l’inclassable ,
Aragon, la liaison délibérée .