Notes de lecture
UN SIECLE DE VIE OUVRIÈRE
Registre de la mémoire et des représentations collectives
Un livre de Valère Staraselski et Denis Cohen (cherche midi éditeur)
Le registre de la mémoire et des représentations collectives recèle encore des enjeux très importants. Les figures syndicales qui ont marqué notre pays et sa population trouvent peu de place dans le monde de l’édition ; aussi pour combler un vide dans ce pan important de notre histoire, Valère Staraselski et Denis Cohen signent un (beau) livre sur un siècle de « Vie Ouvrière » (1909-2009) aux éditions du Cherche Midi, (préface de Bernard Thibault).
Sans manichéisme aucun, bien sûr ! Il est fini le temps où l’on présente les choses d’une façon simpliste, d’un côté les « bons » et de l’autre « les mauvais » et c’est tant mieux pour le débat démocratique. Il en va ainsi de la vie sociale et de ses pratiques avec « sa presse » dont « La Vie ouvrière » en est la quintessence. La transformation d’un journal est toujours un pari, ce postulat établi, il convient d’ouvrir le livre dès la première page et d’en parcourir ses riches étapes. Il fourmille de faits, de chronologies, d’évènements cruciaux, de bouleversements, d’univers connus et inconnus, d’intégration de faits de société, de nouvelles préoccupations, de rupture, d’utopie... L’ennemi, c’est toujours et encore le capital. Exigence de l’écriture et exigence du rapport à l’histoire même de la CGT, un syndicat qui a joué et qui joue un rôle majeur dans la France d’hier et d’aujourd’hui.
Engagement
Éviter l’oubli, le réparer, la détermination d’un engagement prend appui sur le combat collectif, qu’il soit politique, culturel ou social. C’est l’espace défini pour « dessiner » le monde de demain, avec la même vibration qu’au début du combat. A partir d’un tel espace, le monde syndical, l’idéologie « choisie » est un domaine immense d’où la perfection est bannie.
En engageant ce débat sur la presse syndicale, avec ses hauts et ses bas, les auteurs dressent un constat encourageant du processus d’aménagement de l’espace écrit et de son rapport direct avec le mouvement social. La structure de l’existence d’un journal, périodique, comme l’est « La Vie ouvrière » dépend de ses militants eux-mêmes, diffuseurs, rédacteurs et, bien évidemment, de ses lecteurs ; lesquels s’entrecroisent la plupart du temps dans une configuration où vie sociale, monde politique, vie économique, société civile, engagements culturels, n’ont pas de frontières. Tout ce continent, un siècle de presse syndicale, recouvre très nettement le monde du travail et ses aspérités, ses succès, ses vicissitudes, ses réflexions, ses doutes ; cela en un peu moins de 180 pages, grand format. L’état des relations entre la société et le monde de l’entreprise, des services publics, de l’école, de l’université, des privés d’emplois, des contrats précaires, des travailleurs immigrés, des Sans Papiers, est un dialogue permanent, d’où surgissent des grandes dates dans une chronologie précise, qui tient lieu de cadre général. Les travailleurs sont de notre temps, comme ils le furent au début du syndicalisme, à l’aube du XXème siècle.
Les témoignages recueillis dans cet ouvrage expriment une identification, syndicale, militante, citoyenne, autrement dit une fonction « abstraite » ou « directe » d’une responsabilité à tous les échelons, de la base au poste du secrétaire général. Entretiens, récits, souvenirs, impressions sont la contrepartie d’une confiance mutuelle partagée entre projets personnels et destins collectifs. Le sentiment général qui se dégage fait coïncider le travail de terrain avec les engagements pris à l’échelon local, régional, national, voire international, pour l’émancipation des peuples. Le syndicalisme est une organisation humaine au premier chef, mais en définitive, ce qu’on retient c’est le but, la conquête et la satisfaction des revendications pour une vie meilleure. Cent ans de parutions de « La Vie ouvrière » l’attestent, sans ambages. Ce livre prolonge, si l’on peut dire, l’ouvrage « Acteurs du siècle » paru en 2000 sous la plume, notamment, d’Edgar Morin et d’Annie Ernaux. Derrière les résistances de plus en plus vives à une société en lambeaux, les représentations sociales et politiques du mouvement syndical sont un signe d’avant-garde et l’expression évidente du combat. Tout est lié, du témoignage à la révolte, du Front populaire de 1936 à l’interdiction de la VO, tout cela est le pendant de la civilisation à un engagement de l’Homme dans la société. Dans un monde où la communication va très vite, la chronique sociale interroge la société.
Débats
Les échanges, les débats, les propositions, les appréciations, les observations à l’intérieur comme à l’extérieur de la CGT sont de grands moments dans la vie du journal. Ce livre « Un siècle de Vie ouvrière », c’est aussi le respect et la mise en pratique des batailles de toutes sortes, avec 700 illustrations, photographies, documents...
La « Vie ouvrière » est partie intégrante du patrimoine du monde du travail, de ses combats, mais aussi de ses espoirs et de ses désillusions.
L’ardeur de comprendre est plus que jamais un élément déterminant, aussi à travers les plumes des journalistes des débuts : Pierre Monatte, Alphonse Merrheim, Alfred Rosmer, la capacité de revivre les premières années du XXème siècle reste entière. Intérêt et originalité du patrimoine social, donc, le présent est là avec son chevauchement de relations à l’autre, c’est tellement important. Un siècle de « VO » ? Un matériau historique et culturel singulier qui sert le panorama de la France contemporaine.
Pierre Pirierros
Paru dans Liberté 62 N° 910 - Le 23 Avril 2010