Valère Staraselski

Recueil de nouvelles "La peau des autres", édité à La passe du vent - octobre 2015

Paradoxe de notre temps - enfin pas tout à fait parce que chacun voit que les jeux et le cirque règnent dans nos contrées, les plus puissants des écrans médiatiques en service font trop souvent écran à la réalité. D’où l’utilité de l’art. A commencer par la littérature.
Ainsi, lors d’une énième joute télévisée d’un samedi soir à quoi les nouveaux maîtres et leurs obligés tentent désormais de réduire la culture, un prof de philo médiatique (c’est un métier) lança à un présentateur écrivain, tout aussi médiatique et tout aussi gonflé de son quant à soi puisque récipiendaire d’un prix littéraire national, il lui lança donc : que la pensée, ça n’était pas fait pour lui !... Pas très gentil... Mais en l’occurrence et relativement à l’écrivain en question, le prof de philo n’avait pas tout à fait tort, car l’égocentrisme n’a jamais fait une œuvre.
Cependant, et sans remonter jusqu’à Platon dont on sait qu’il chassait peintres et poètes de sa cité idéale puisque selon lui toute œuvre fictionnelle ment, on se risquera à répondre - au prof de philo - que non seulement la fiction dit la réalité mieux que toute autre approche du réel mais qu’en outre, la littérature, la vraie, émet de la pensée. Que la littérature c’est de la pensée, plus l’émotion et parfois la beauté. Par littérature j’entends celle qui refuse d’être assignée à résidence médiatique, celle qui s’écrit loin de l’ordre établi qui se répand sous les sunlights du spectacle permanent. L’apparence de liberté totale ne correspond-t-elle pas trop souvent à la société d’aujourd’hui où tout fait marchandise et où l’assaut du ciel se fait davantage avec des gratte-ciel démesurés (c’est un pléonasme) qu’avec des mots ou des notes de musique, par exemple ? Vouloir « gratter » le ciel est vain, le montrer à celles et ceux qui l’ont perdu de vue paraît plus utile.
Ainsi que l’écrit le poète Laurent Mouney « le système s’autoalimente, déployant le peu qu’il lui reste d’énergie pour éliminer les voix discordantes, les intrus qui pointeraient leur nez ».
C’est pourquoi, en littérature, comme en amour, le plus souvent il vaut mieux s’inviter ! C’est ce à quoi s’emploie l’espace Pandora en organisant chaque année un concours de nouvelles ouvert à des amateurs avec, à la clé, cette publication que vous tenez entre les mains, présentant un choix de textes effectué par un jury que j’ai eu l’honneur de présider.
Pour tout dire, le titre de ce recueil, La peau des autres, me renvoie à la mémoire des périodes guerrières de l’occident et tout d’abord à celle dite de la grande Guerre. Oui, 14-18, qui fit neuf millions de morts et vingt millions de blessés. Qui se souvient de l’horreur des gueules cassées ?... Donc, de cette guerre après laquelle l’expression « avec la peau des autres » donnera chair, en quelque sorte, au mot d’Anatole France : « on croit mourir pour la patrie alors qu’on meurt pour des industriels ! »...
Chaque génération qui entreprend d’écrire dit son temps. 14-18 où Le Feu d’Henri Barbusse, Les Croix de bois de Roland Dorgelès, La Peur de Gabriel Chevalier, côté français, A l’ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque ou Orages d’acier de Ernst Jünger, côté allemand.
Si chaque génération dit son temps, avec les nouvelles de La peau des autres, on entre dans le présent, ou plus exactement dans la perception que les auteurs ont de ce début de siècle. Et, si on n’aime pas toutes les nouvelles de La peau des autres, là n’est pas l’essentiel. Et puis on n’est pas obligé de « kiffer » notre époque. Pour ma part, en dépit de certains oasis et îlots de jeunesse et de promesse, je la trouve massivement régressive, notre époque. Mais cela ne durera pas...
Qu’ils maîtrisent plus ou moins bien la nage, celles et ceux que vous lirez-là ont le mérite de s’être jeté à l’eau. Ecrire, c’est d’abord donner. Donner de soi à un autre nommé lecteur.
Et quant au délaissement voire au dédain du genre de la nouvelle, sans évoquer cette fois-ci les grands auteurs et pour passer à un autre registre, j’avouerai par exemple que mes goûts dans la chanson me portent davantage vers Guy Béart que vers Serge Gainsbourg. Sans que cela signifie que je jette tout Gainsbourg, loin de là ! Ah, Le poinçonneur des Lilas ! Mais je choisis Guy Béart qu’on moqua beaucoup et qui, par ailleurs, défendait contre Gainsbourg la chanson en tant qu’art à part entière. D’où cet échange entre Gainsbourg qui assurait lui que la chanson était un art mineur et qui, en cette occasion, traita Béart de « blaireau » quand ce dernier le qualifia en retour de « petit maître à l’occasion plagiaire ». Guy Béart, dont Louis Aragon a écrit qu’il déterrait « cet étrange pouvoir de séduction de saisir l’instant qui durera ».
Affirmons le tout net à notre tour, la nouvelle comme la chanson n’est pas un art mineur. Et dans la mesure, où sa forme, semblablement au poème, permet de « saisir l’instant qui durera », la nouvelle est même comme la quintessence de l’art écrit. Pour l’heure, lisez ces nouvelles, vous aurez l’air du temps. De votre, de notre temps.

Valère Staraselski