Valère Staraselski

Valère Staraselski n’a pas à rougir de cette juste colère - Michel Boué
L’Humanité

Dans son dernier pavé pensant, « Réelles présences » (Gallimard), le philosophe suisse George Steiner se demande fort à propos si les intellectuels d’aujourd’hui, brillant par leur absence dans l’Histoire actuelle, n’auraient pas trouvé dans le fameux « Je est un autre autre » de Rimbaud une facile excuse à se laver les mains de leur responsabilité politique. Bonne question, mais qui ne va pas jusqu’à considérer d’autres réflexions, d’autres œuvres que celles en vogue dans l’appareil médiatique couché à plat sous les rangers élyséens.

En refermant « Dans la folie d’une colère très juste », on ne se dit pas qu’enfin un Aragon bis nous est tombé du ciel. Valère Staraselski n’y prétend nullement. Même s’il prend un malin plaisir à truffer son livre d’hommages aux chers disparus : « c’était un jour déraisonnable, un jour à faire peur » (bonjour Louis ! ) ; Mélanie « n’était pas du tout, mais ça alors pas du tout, mon genre » (bonsoir Proust !).

Staraselski ne pose pas au précurseur en écriture. Son premier roman vise à se positionner lui, ici et maintenant. Rejeton spirituel d’Aragon, certes, dans sa tentative d’embrasser le monde en tous ses tenants et aboutissants (la politique et l’amour, pour résumer vite, très vite) ; également petit-neveu de Roger Vailland dans sa quête sensuelle des bonheurs plausibles, l’auteur assume cet orgueilleux héritage, pavé de gloire et d’épopée, avec tous les handicaps d’une génération (la sienne, il a 33 ans, il n’a même pas vécu Mai 68) engluée dans le ventre visqueux des temps nuls que nous vivons.

Valère (de même que son double, Robert) tente, avec une pugnacité aussi saine que désespérée, de se raccrocher aux branches de deux passions : la politique, qu’il pratique en tant que pointilleux militant du PCF ; et la littérature, qu’il fréquente ostensiblement au vu des sommités citées ici, et qu’aujourd’hui il ose aborder en son nom propre.

L’Histoire épique, ici, passe par l’engagement de Robert Dumas, figure de la Résistance, se faufilant dans ce roman contemporain qui se souvient du temps des stalags, des FTP.

L’Histoire à présent, elle, s’abaisse en 1981 dans l’intronisation au Panthéon d’un Mitterrand, où vaque un Robert Perrault (alias Staraselski), jeune homme d’aujourd’hui, infatigable arpenteur de Paris saisi par tous les doutes d’aujourd’hui, mais entêté à mordre, vaille que vaille, dans le minuscule laps de temps attribué à toute vie. De réunion de cellule en maîtresses, de ruptures sentimentales en amours littéraires, ce Robert Perrault-là relève le défi de fendre et pourfendre la mer d’ennui qui submerge notre pauvre France.

Valère Staraselski n’a pas à rougir de cette juste colère. Même si sa plume, au seuil d’un premier titre, est encore un peu verte.

Michel Boué, L’Humanité