« L’Adieu aux rois » : l’utilisation du roman comme moyen d’investigation historique. Dans un roman historique très documenté, Valère Staraselski retrace ce qui s’est passé d’août à octobre 1793 à l’intérieur de la basilique Saint-Denis concernant les sépultures des rois de France.
VALÈRE STARASELSKI donne à lire son 7e roman, « L’Adieu aux rois », consacré à un épisode relativement méconnu de la Révolution de 1789 : l’exhumation en 1793 des dépouilles royales et princières de la basilique de Saint-Denis où elles reposaient, pour certaines, depuis des siècles. Episode peu connu en réalité car considéré comme un événement lié à la Terreur, supplanté dans l’imaginaire collectif par la mise à mort de Louis XVI et de sa femme et dont la responsabilité est souvent imputée à Robespierre. Voilà qui méritait bien un roman historique. Comme dans « Une Histoire française », Georges de Coursaut, écrit sous la dictée de Marc-Antoine Doudeauville, seule l’année change. Comme les personnages secondaires sont les mêmes, le lecteur a l’impression de lire le deuxième volume d’une fresque romanesque... Depuis l’arrestation de Louis XVI à Varennes en juin 1791, c’en est fini de la monarchie constitutionnelle. Le gouvernement provisoire doit faire face aux menaces étrangères et à la guerre civile. Il fait fondre les monuments en bronze et autres métaux pour fabriquer des armes. Il donne l’ordre de détruire les mausolées royaux et d’en extraire les dépouilles.
L’habileté du romancier est de faire raconter ces derniers faits par l’organiste de Saint-Denis, Ferdinand Gautier, royaliste et catholique fervent.
Réalisme historique
Si bien que le lecteur assiste au récit de Gautier et aux remarques de Doudeauville, mis en forme par de Coursaut. Réalisme historique Le récit de Ferdinand Gautier est précis et émouvant, rien n’est épargné de l’aspect des dépouilles exhumées au lecteur qui, à son corps défendant, en oublie les exactions et la cruauté de ces roi s et reines.
Heureusement, Valère Staraselski prête à l’avocat Doudeauville, robespierriste convaincu, des propos prémonitoires : « Ainsi, si cela [la mort, l’assassinat] devait par malheur arriver à Maximilien Robespierre, sache que ses ennemis, nombreux et acharnés, dresseront alors de lui un portrait défavorable, mensonger, calomnieux ».
Valère Staraselski s’est soigneusement documenté aux sources de l’époque et fait ainsi apparaître, en contrepoint au récit de Gautier, le portrait d’un Robespierre qui voit les dangers de l’extrémisme, la traîtrise de certains, un Robespierre soucieux du bien public et défenseur du peuple. Face aux turpitudes des puissants jetés à la fosse commune, la figure de l’Incorruptible n’en prend que plus d’éclat. « Malgré les épreuves terribles que notre pays traverse, Maximilien Robespierre est bien l’homme de la situation ; il est l’homme de la mesure, de l’indulgence et, fait rarissime, de l’honnêteté », fait dire l’auteur à Doudeauville.
La « mort définitive » des « indéfiniment vivants »
Mais l’aspect historique ne doit pas faire oublier le roman et ses qualités d’écriture. Valère Staraselski a le souci du détail qui rend son récit vraisemblable. La description du logis de Doudeauville est sans reproche : rideaux, âtre mais aussi rituel du chocolat par quoi commencent les journées de récit. Le parcours en vinaigrette, même s’il est simplement évoqué, participe de cette volonté de vraisemblance. Bergamote, la petite chatte, est un détail qui vise au réalisme. Même le costume des personnages est vu avec le même souci : Gautier « a gardé son chapeau de bras, à androsmane à bords relevés, non loin de lui ». Qui sait encore ce que signifie ce mot « androsmane » ?
Et la langue évite tout anachronisme, elle essaie de coller à celle de la fin du XVIIIe siècle... La « mort définitive » des « indéfiniment vivants » Mais ce réalisme n’empêche pas la
réflexion politique, car Valère Staraselski s’attache à tirer la signification de cet événement historique qui s’achèvera par le dépôt des dépouilles royales et princières dans la fosse commune. Le romancier a ces mots significatifs : « L’exhumation de Saint- Denis révélait [...] davantage l’inhumanité des rois que celle des profanateurs ». Il fallait en finir avec la royauté de droit divin en infligeant « une mort définitive à ceux-là qui s’étaient toujours présentés comme indéfiniment vivants », il fallait « anéantir l’enchaînement vital jusqu’à la matrice qui déterminait l’hérédité ». En quoi, cet événement est fondateur de la République... Ce qui ne veut pas dire que les choses ne soient pas à recommencer, sous une autre forme, car aujourd’hui on assiste à une dérive monarchique de la République avec son président omnipotent, on assiste, avec le primat du pouvoir économique, au dépouillement des citoyens de leurs droits à choisir leur avenir... Deux phrases s’appliquent parfaitement à la situation actuelle : « La servitude [consiste] à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère » et « L’aristocratie est l’état où une partie des citoyens est souveraine et le reste est sujet ». Ne croirait-on pas qu’elles ont été écrites, pour désigner « la dictature économique » et « la classe politico-économique » au pouvoir ?
Mais lisez plutôt « L’Adieu aux rois » : il nous faut « déplonger » de la glue qui nous emprisonne !
Lucien WASSELIN
• Valère Staraselski, « L’Adieu aux rois ». Le cherche midi éditeur, 240 pages, 16 €.
Web : www.cherche-midi.com