Valère Staraselski

L’Adieu aux rois, Paris janvier 1794
"La République, envers et contre tout"
François Eychart - Les lettres françaises
5 septembre 2013

La République, envers et contre tout

Une Histoire française relatait les dernières années de la France de l’Ancien régime. L’Adieu aux rois se passe, lui, en 1794, dans la toute jeune république française, six mois avant la mise à mort de Robespierre. Il constitue donc le deuxième volet d’un ensemble sur la crise de l’Ancien régime et la fondation de la République, et peut-être le troisième si l’on considère que Le Maître du jardin, ouvrage subtil et sensible consacré à la Fontaine, ne doit pas être écarté de l’ensemble. Dans l’œuvre de Valère Staraselski les romans contemporains (Monsieur le député, Un Homme inutile, Nuits d’hiver) alternent avec ceux qui s’appuient sur un substrat historique, mais qu’ils aient pour toile de fond la crise sociale de la France d’aujourd’hui ou celle du temps de Louis XVI, tous ont en commun de mettre à jour les malheurs que ces crises produisent et les difficultés à leur donner des réponses adéquates.

Avec L’Adieu aux rois nous sommes en pleine fièvre révolutionnaire. Le tableau est riche et très contrasté. La tête de Louis XVI est tombée, le balancier politique penche à gauche. Les chefs politiques qui ont montré quelque indulgence envers ce qui reste de la monarchie sont en difficulté. Après avoir bataillé contre eux, Robespierre se tourne contre les « exagérés » c’est-à-dire Hébert et ses compagnons. Tout en se battant furieusement en Vendée et contre l’étranger qui l’a envahie, la République n’en ressent pas moins une menace lourde dans ce qui reste d’habitudes de soumission à la monarchie. Pour ne pas périr, elle a besoin que les Français passent de l’état de sujets à celui de citoyens libres dont rien ne bridera la volonté. D’où la décision de détruire les symboles de la monarchie, en commençant par la grande nécropole royale sise en la basilique de Saint Denis.

Le roman part donc de cette destruction que relate l’organiste de Saint Denis, un royaliste fervent, meurtri de ce qu’il a vu. Son témoignage a été demandé par Marc Antoine Doudeauville, le personnage central d’Une Histoire française, avocat des pauvres, et surtout passionné par la vie politique. Doudeauville est en relation épistolaire avec un ami qui s’est installé en Amérique et il l’informe régulièrement ce qui se passe en France, par amitié, et parce que l’Amérique étant la promesse d’un monde meilleur, il faut l’instruire de tout ce qui peut l’aider.

C’est l’originalité de Valère Staraselski de construire ses romans autour d’un récit dans le récit qui joue le rôle de matrice. Si ce récit a une fonction informative nécessaire, ici celle d’exposer un saccage monstrueux, les nombreux à côtés qui en naissent constituent en réalité la substance la plus intéressante du roman, celle ou la liberté du romancier s’exerce le mieux.

Le roman oscille en effet en permanence de l’affaire de la nécropole aux problèmes qu’elle pose à la petite société que Doudeauville et ses amis constituent. Car enfin, après avoir adopté la République, ces adeptes résolus des Lumières qui ont défendu becs et ongles la liberté de pensée doivent affronter cette erreur catastrophique qui ne peut profiter qu’aux ennemis de la république. L’Adieu aux rois fait sentir leur désarroi et le besoin d’une solution. En contrepoint du récit de l’organiste, Doudeauville donne à ses amis lecture de discours de Robespierre où se déploie la rare force d’une pensée qui, face à ce genre d’accident, sait dégager l’accessoire du fondamental : « la révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis, la constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible ». Paisible sera donc la République, mais quand elle ne sera plus menacée et c’est en cela que Doudeauville veut la préserver.

L’intérêt de l’Adieu aux rois ne tient pas qu’à son sujet : la langue que l’auteur utilise joue aussi son rôle dans la réussite du roman. Par la richesse du vocabulaire d’époque, par sa constante clarté d’expression, elle donne au lecteur un accès souvent savoureux aux arcanes d’un monde disparu mais captivant. Elle a un léger parfum de Voltaire et de Diderot qui convient fort bien à l’évocation de la petite société des amis de Doudeauville.
Mais on ne peut celer que ce roman réhabilite aussi la notion de nation. En ces temps où l’identité nationale tend à se dissoudre dans l’entité européenne ou dans les particularismes régionaux ou communautaires, ce n’est pas un mince mérite que de rappeler que la nation est un bien commun inaliénable dont la richesse est loin d’être épuisée.

François Eychart