Valère Staraselski

L’Adieu aux rois, Paris janvier 1794
Le Club du Roman historique - blog de Frédérique Chavance
1er juin 2014


L’Adieu aux rois, Paris, janvier 1794

Auteur : Valère Staraselski

Texte de présentation

"On venait d’ouvrir le cercueil deMarie de Médicis [...] il était [...] en putréfaction liquide. [...] Sa tête était entière et garnie de beaucoup de cheveux.
Aussitôt, il a entendu les [...] ouvriers et autres assistants qui accusaient cette princesse du meurtre de son époux. [...] ces imprécations signifiaient néanmoins un hommage [...] rendu à la mémoire d’Henri IV toujours chérie, malgré la haine prononcée contre le nom de roi ! Les ouvriers [...] ont arraché et distribué au hasard ses cheveux. Il m’a confessé avoir alors tendu, au milieu du groupe, une main incertaine qui a réussi à en saisir une petite touffe qu’il a eu soin de conserver..."
1793, la France est assiégée. Prussiens, Autrichiens et Anglais cantonnent à quelques heures de Paris. Le bruit court que le roi de Prusse a fait retenir les loges à l’Opéra. Lyon et Bordeaux sont en rébellion contre la Convention tandis que les Vendéens insurgés ont pris Angers et Saumur. Terreur, sauvagerie et férocité caractérisent cette guerre civile.
Le conventionnelBarère appelle à la destruction des mausolées royaux. Les sans-culottes applaudissent et l’abbé Grégoire lui-même s’enthousiasme. Les cercueils des rois et reines de France, princes, princesses, religieux et grands de l’État sont ouverts et leurs corps extraits un à un puis jetés dans deux fosses communes.
Un témoin, Ferdinand Gautier, personnage réel, royaliste et catholique fervent, relate jour par jour ces faits à l’avocat robespierriste Marc Antoine Doudeauville...

En complément
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Mon avis : Très Bien

Cinq bonnes raisons de lire ce roman


1. Un sujet inédit

À ma connaissance, c’est la première fois qu’un roman historique aborde la violation et la destruction des tombeaux de la basilique Saint-Denis, événement qui se déroula entre août 1793 et janvier 1794. Un sujet encore trop rarement traité de nos jours, quel que soit le média (manuel scolaire, ouvrage de sciences humaines, documentaire télévisé...).


2. Une structure narrative agréable

Le récit s’organise autour de la confession de Ferdinand Gautier, titulaire des orgues de l’abbatiale de Saint-Denis, qui relate les faits dont il a été témoin en 1793 à trois personnages, l’avocat Marc Antoine Doudeauville, son secrétaire particulier Georges de Coursault et André de Maisonseule. En effet, Doudeauville s’est engagé à envoyer un mémorandum sur ces événements stupéfiants à son ami Sébastien Bréhal, qui réside désormais à Boston.
Cette confession, qui intervient entre le dimanche 5 janvier et le samedi 11 janvier 1794 - jeudi 30 janvier si l’on tient compte de la lettre de Gautier -, se déroule dans un espace unique, l’appartement de Doudeauville. Le roman est ainsi divisé en plusieurs chapitres correspondant aux différentes journées, et la confession elle-même est rythmée par l’emploi du temps de Gautier, la présence de la petite chatte Bergamote et de Baptiste qui ranime le feu, les flammes du feu elles-mêmes, le temps (la neige et le froid, en l’occurrence) et les remarques des différents personnages. Cette structure narrative claire et bien découpée, qui s’apparente à celle d’une pièce de théâtre, donne au récit de la force et du rythme, ce qui permet de ne jamais se sentir envahi ou lassé par un flot continu d’informations.


3. Un roman instructif

Ce roman contient beaucoup d’informations et de détails, mais la lecture est fluide grâce à la structure narrative choisie, celle du témoignage. Un bon mélange entre la fiction romanesque et le documentaire. Pour ma part, j’ignorais que les sépultures antérieures aux Bourbons avaient été également profanées et détruites, sans oublier celles de personnages non royaux (Turenne, l’abbé Suger...)... Personnages enterrés, état de conservation des corps, description des opérations... on a l’impression d’être sur place !


4. Un double regard

Loin de jouer la carte des gentils républicains contre les méchants royalistes et vice versa, ce roman permet, grâce à la voix du royaliste Gautier et de celle de l’avocat robespierriste Doudeauville, de donner des points de vue différents sur cette période et cet épisode tragique. Par l’entremise de Doudeauville qui cite des extraits des discours de Robespierre, on assiste même à une réhabilitation de ce personnage historique, considéré communément comme un tyran sanguinaire. Une chose est sûre : les historiens ont encore beaucoup de travail à faire pour donner de cette période controversée une vision objective et non plus manichéenne.
Extrait du discours prononcé par Robespierre le 21 novembre 1773 face à la tribune des Jacobins (pages 169-170) :
"De quel droit voudraient-ils troubler la liberté des cultes au nom de la Liberté, et attaquer le fanatisme par un fanatisme nouveau ?... On a dénoncé des prêtres pour avoir dit des messes : ils la diront plus longtemps, si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui dit la messe. [...] Il est des hommes qui veulent aller plus loin, qui, sous le prétexte de détruire la superstition, envisagent de faire une sorte de religion de l’athéisme lui-même. Tout philosophe, tout individu peut adopter là-dessus l’opinion qu’il lui plaira. quiconque voudrait lui en faire un crime est un insensé ; mais l’homme public, mais le législateur serait cent fois plus insensé qui adopterait un pareil système..."

5. Une leçon universelle
Ce roman, quelle que soit l’opinion que l’on peut porter sur la Révolution française, met en lumière à quelles extrémités les hommes peuvent en arriver quand ils se sentent ignorés, incompris, pas écoutés... Folie, cruauté, fureur... comment peut-on expliquer la profanation de ces sépultures et les actes commis sur les cadavres (ongles, dents et mèches de cheveux arrachés...) ? Tout est affaire de symbolique (pages 178-179) :
"C’est sans aucun doute ce qu’avaient compris ceux qui avaient voulu l’exhumation : il convenait d’infliger une nouvelle mort, une mort définitive à ceux-là qui s’étaient toujours présentés comme indéfiniment vivants ! le lien n’avait-il pas été détruit lorsque le représentant en mission à Reims, Philippe-Jacques Ruhl, avait brisé la sainte ampoule utilisée lors du sacre des rois de France ? N’était-ce pas également le sens de la mise à mort de Marie-Antoinette ? Il n’avait point suffi de décapiter Louis XVI, car le roi mort et vive le roi, il fallait anéantir l’enchaînement vital jusque dans la matrice qui déterminait l’hérédité. Il fallait chasser ces fantômes qui allaient et venaient comme chez eux parmi les vivants."


Quatre petits bémols

1. L’aspect confession en un lieu unique pourra décourager les lecteurs en attente de scènes d’action.

2. Il aurait été intéressant que l’auteur indique ses sources en fin d’ouvrage (Dom Poirier, Dom Druon, Alexandre Lenoir...), car le sujet est très intéressant et certains lecteurs peuvent avoir envie d’en savoir plus !

3. Autres éléments qui auraient pu être intéressants : intégrer en fin d’ouvrage une chronologie récapitulative des faits et nous indiquer ce que sont devenus les ossements jetés dans les fosses communes et si des monuments funéraires ont échappé à la fureur des hommes ou ont pu être restaurés.

4. Je me demande si une erreur ne s’est pas glissée en page 21 : l’auteur indique que les personnages sont réunis "ce dimanche de janvier", or nous sommes dans le chapitre "Samedi 4 janvier 1794 - 15 Nivôse de l’An II, dans l’après-midi".

Trois conseils
1. Il est préférable de lire auparavant Une histoire francaise, premier tome de cette histoire de la Révolution française, même si ce roman peut être lu de manière indépendante. Vous serez ainsi bien familiarisé avec les différents protagonistes, leur caractère, leur histoire, leurs relations, et comprendrez mieux les personnages dont ils parlent ici mais que l’on ne voit pas (Julie, Constance de Durbois). Et puis c’est toujours mieux de lire les romans dans l’ordre chronologique !

2. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez aller faire un tour sur le blog "C’est arrivé aujourd’hui", qui retrace, avec un point d’humour comme toujours, la journée du 14 octobre 1793. Sans oublier Wikipedia qui a consacré une page à la profanation des tombes de la basilique Saint-Denis. Mais, surtout, écoutez Franck Ferrand qui a consacré une émission passionnante à la profanation des tombes royales à Saint-Denis sur Europe 1 ("Au coeur de l’histoire").

3. Si vous ne connaissez pas ce monument, courez vite à la basilique de Saint-Denis !

Éditeur : Le cherche-midi