Valère Staraselski

L’Adieu aux rois, Paris janvier 1794
"Le roman, moyen d’investigation historique"
Lucien Wasselin - La Tribune de la Région Minière
28 août 2013

Valère Staraselski donne à lire son septième roman, L’Adieu aux Rois, Paris, janvier 1794, qui est consacré à un épisode relativement méconnu de la Révolution de 1789 : l’exhumation en 1793 des dépouilles royales et princières de la basilique de Saint-Denis où elles reposaient,
pour certaines, depuis des siècles.
Épisode peu connu en réalité car considéré comme un événement lié à la Terreur, supplanté dans l’imaginaire collectif par la mise à mort de
Louis XVI et de sa femme et dont la responsabilité est souvent imputée à Robespierre.
Voilà qui méritait bien un roman historique.

Le lecteur attentif et habitué de l’oeuvre du romancier remarque immédiatement la similitude du dispositif romanesque mis en place par Valère Staraselski avec celui
de son quatrième roman, Une histoire française : l’écrivain Georges de Coursault écrit sur ordre (ou sous la dictée) de Marc-Antoine Doudeauville ; dans les deux cas, l’action se déroule en janvier (1789 pour Une histoire
française, 1794 pour L’adieu aux rois) au même endroit... Si bien que c’est le récit d’un moment de l’histoire de la France qui est livré au lecteur, celui de la Révolution de
1789, de ses racines à la proclamation de la République... Les personnages secondaires sont les mêmes : Maisonseule nuance les propos de l’un ou de l’autre, voire contredit
occasionnellement Doudeauville ; Baptiste et Petit-Pot, les domestiques, sont toujours là, et même la vinaigrette ! On est alors en droit de se demander si Staraselski n’est pas en train d’écrire un cycle ou une fresque romanesque.

Mais, retour aux faits et péripéties de 1793. Avec la fuite de Louis XVI et son arrestation à Varennes en juin 1791, c’en est fini de la monarchie constitutionnelle née
des journées révolutionnaires de 1789. Le gouvernement provisoire ordonne la fonte des monuments en bronze et métaux divers pour en faire des armes afin de faire face
aux dangers de l’invasion étrangère et de la guerre civile. C’est dans ce contexte que sont ordonnées, à l’instigation du conventionnel Barère, la destruction des mausolées royaux et l’exhumation des dépouilles qu’ils abritaient. L’habileté de Valère Staraselski est de
donner la parole à un témoin oculaire de ces faits, Ferdinand Gautier, organiste de Saint-Denis et par ailleurs royaliste et catholique fervent. C’est Doudeauville, robespierriste non moins convaincu, qui lui a demandé de venir lui raconter ce qu’il a vu, afin de répondre à la demande de renseignements de son ami Sébastien Bréhal qui vit aux États-Unis. Le mémorandum, que va écrire Georges de Coursault, est le résultat du récit de Gautier et des ajouts de Doudeauville et le
lecteur du roman assiste bien sûr et à ce récit et à ces remarques.

Le récit de Ferdinand Gautier est précis et émouvant parce que traversé par une indignation qui touche le lecteur : c’est qu’il s’agit de dépouilles humaines et l’on oublie
la cruauté, la vanité et l’hypocrisie de ces rois, reines et autres princesses. L’ordre chronologique est suivi et Gautier avoue franchement quand il n’a pas pu assister aux
travaux d’exhumation. Rien n’est épargné au lecteur : ni l’aspect des restes, ni la pourriture, ni les odeurs pestilentielles. Une telle précision laisse supposer que Valère Staraselski s’est sérieusement documenté : a-t-il
lu le manuscrit de Ferdinand Gautier puisque ce personnage a réellement existé et a laissé ses “mémoires” ? Je ne sais... Mais sans doute a-t-il eu accès à cette littérature “grise” (comme on dit à l’Université) inconnue du grand public, peut-être a-t-il lu les rapports de Dom Poirier et de Dom Druon, l’étude de Leroy et Herluison ? Le récit de Gautier est criant de vérité malgré le style de l’époque et semble donner raison aux discours convenus sur Robespierre (le hasard a voulu que je lise ce roman au moment même où un court sujet sur Robespierre passait à la télévision et distillait le fiel habituel). Mais Valère
Staraselski tient des propos prémonitoires qu’il prête à son autre personnage, l’avocat Doudeauville : “Ainsi, si cela [la mort, l’assassinat] devait par malheur arriver à Maximilien Robespierre, sache que ses ennemis, nombreux et acharnés, dresseront alors de lui un portrait défavorable, mensonger, calomnieux !” D’ailleurs, Staraselski remet ces
exhumations dans le contexte de l’époque.

Là aussi, il s’est solidement documenté :
rivalités politiques, trahison de Dumouriez, fable de l’enlèvement du roi pour protéger la monarchie, etc. Mais, plus et mieux,
il s’est aussi précisément documenté sur le rôle et les idées de Robespierre :
décrets de la Convention, position de Robespierre, discours de ce dernier, etc. Peu à peu, se dresse ainsi en
contrepoint au récit de Gautier, le portrait d’un homme politique qui savait voir le danger de l’extrémisme, mais aussi la corruption et la traîtrise des autres. Robespierre apparaît alors comme un homme soucieux du bien
public, défenseur du peuple, hostile aux privilèges,
partisan de l’égalité :
“Malgré les épreuves terribles que notre pays traverse,
Maximilien Robespierre est bien l’homme de la situation ; il est l’homme de la mesure, de l’indulgence et, fait rarissime, de l’honnêteté” fait dire le romancier à Doudeauville.

Tel apparaît Robespierre au lecteur au terme d’une démonstration rigoureuse. Face aux turpitudes des bien-pensants jetés à la fosse commune, la figure de l’Incorruptible n’en prend que plus d’éclat... Mais l’aspect historique ne doit pas faire oublier le roman et ses qualités d’écriture.

Valère Staraselski a le souci du détail qui rend son récit vraisemblable. La description du logis de Doudeauville est sans reproche : rideaux, âtre mais aussi rituel du chocolat par quoi commence les journées de récit. Le parcours en vinaigrette, même s’il est simplement évoqué, participe de cette volonté de vraisemblance. Bergamote, la petite chatte, est un détail qui vise au réalisme. Même le costume des personnages est vu avec le même souci : Gautier a “gardé son chapeau de bras, à androsmane à bords relevés, non loin de lui”. Qui sait encore ce que signifie ce mot androsmane ? Et la langue évite tout anachronisme, elle essaie de coller à celle de la fin du XVIIIe siècle... Mais ce réalisme n’empêche pas la réflexion politique car Valère Staraselski s’attache à tirer la signification de cet événement historique qui s’achèvera par le dépôt des dépouilles royales et princières dans la fosse commune.

Le romancier a ces mots significatifs :
“...l’exhumation de Saint-Denis révélait [...] davantage l’inhumanité des rois que celle des profanateurs”. Il fallait en finir avec la royauté de droit divin en infligeant “une mort définitive à ceux-là qui s’étaient toujours présentés comme indéfiniment vivants”, “il
fallait anéantir l’enchaînement vital jusqu’à la matrice qui déterminait l’hérédité”. En quoi, cet événement est fondateur de la République... Ce qui ne veut pas dire que les choses ne soient pas à recommencer, sous une autre forme, car aujourd’hui on assiste à une dérive monarchique de la république avec son président omnipotent, on assiste, avec le primat du pouvoir économique, au dépouillement des citoyens de leurs droits à choisir leur avenir... Deux phrases s’appliquent parfaitement à la situation actuelle :
“...la servitude [consiste] à être contraint
de se soumettre à une volonté étrangère” et
“l’aristocratie est l’état où une partie des citoyens
est souveraine et le reste sujets”.
Ne croirait-on pas qu’elles ont été écrites pour désigner la dictature économique et la classe politico-économique au pouvoir ?

Il y a quelques années, je terminais ma note de lecture d’Une histoire française en relevant l’utilisation que faisait Valère Staraselski du verbe déplonger que je n’avais lu que chez Aragon. Il me faut récidiver aujourd’hui car Valère Staraselski emploie à nouveau, vers la fin de L’adieu aux rois, ce verbe qui semble s’adresser aux lecteurs : il nous faut déplonger de la glu qui nous emprisonne !

Lucien Wasselin