Valère Staraselski

L’Adieu aux rois, Paris janvier 1794
Valère Staraselski
La Gazette d’Esprit XVIII
22 mai 2017

D’août 1793 à janvier 1794, les sépultures de vingt-cinq rois, dix-sept reines, soixante-et-onze princes sont pillées et profanées à la nécropole royale de Saint-Denis, ville alors rebaptisée « Franciade ». Valère Staraselski nous raconte cette période singulière de la fin du XVIIIe siècle, dans son roman L’adieu aux rois.

LA GAZETTE : Votre roman L’adieu aux Rois a pour thème la profanation des tombes royales de Saint-Denis, durant la Terreur. Pourquoi avez-vous choisi d’évoquer cet épisode, particulièrement marquant, qui succède au régicide de Louis XVI et deMarie-Antoinette ?

V. S. : Pour savoir très précisément ce qui, au juste, s’était déroulé lors de cet épouvantable épisode dont j’ai découvert très tardivement l’existence. Et pourquoi ? « C’est la première fois qu’un roman historique aborde cet évènement », rapportait une journaliste qui ajoutait « un sujet trop rarement traité quel que soit le media (manuel scolaire, ouvrage de sciences humaines, document télévisé) ». L’établissement des faits et rien que des faits permet de combattre l’omission, l’indifférence, l’effacement ainsi que la manipulation (Lorànt Deutsch invente de toutes pièces ce geste de Robespierre coupant la barbe de feu Henri IV ; or Robespierre ne se rend pas dans la basilique et c’est un soldat qui commet ce geste). Une communauté, un pays ont besoin de bâtir sur du solide et n’oublions pas que la France est une démocratie dont l’exercice s’accommode mal d’une logique des extrêmes.

LA GAZETTE : La Convention avait décrété l’exhumation des dépouilles royales. Pouvez-vous nous expliquer le fondement de ce vandalisme, organisé par la Première République ?

V. S. : Le fondement de cette profanation est multifactoriel. D’abord, le contexte de bouleversement et de violence. Le conventionnel Barère annonce la mesure le 31 juillet 1793. Dans son discours du lendemain, le même Barère dresse un tableau apocalyptique des menaces qui pèsent sur la France et qui obligent le gouvernement à frapper « le même jour... l’Angleterre, l’Autriche, la Vendée, le Temple et les Bourbons » alors ajoute-t-il que « l’ennemi travaille à incendier les magasins, à réunir les moyens de subsistance, à agiter, à indiscipliner les soldats »... Éradiquer le pouvoir desBourbons et de leurs prédécesseurs jusque dans leur cercueil, dont on fondra le plomb pour les transformer en boulets de canon pour défendre la Patrie assaillie de toutes parts, visait pour d’aucuns à donner le change symbolique aux sans-culottes alors très menaçants à l’encontre du gouvernement, à frapper les esprits, à du « passé faire table rase ». Aragon qui condamnait ce vers de l’Internationale disait ne pas croire à la vertu des massacres... On sait que la profanation, quand elle n’est pas le fait de voleurs ou de pilleurs, revendique essentiellement la désacralisation. Barère, dans son discours du 31 juillet, parle de « cendres impures »... Quant à Marie-Antoinette, elle sera exécutée en octobre, c’est-à-dire au même moment que les profanations...

LA GAZETTE : Rois et princes de la Maison de Bourbon et de Valois, Carolingiens et Mérovingiens sont extraits, un à un, de leur sépulture pour être jetés dans de grandes fosses communes. Dans quelle ambiance se déroulent ces scènes macabres ?

V. S. : Ce qui m’a frappé, c’est le mélange à la fois de comportements irrespectueux voire insultants et de déférence ressenti par les ouvriers. Si l’attitude outrageante est le fait d’une minorité, la multitude lorsqu’elle a eu accès, au début, à la nécropole montre que le commun sait en face de quoi il se trouve. Le sacré est loin d’être effacé dans l’esprit populaire. Evidemment, il y a les voleurs de tous bords...

LA GAZETTE : Le récit des profanations des tombes royales est rapporté par Ferdinand Gautier, organiste de Saint-Denis. Pour quelle raison avez-vous choisi Ferdinand Gautier plutôt qu’un autre témoin oculaire ? Je songe à Alexandre Lenoir, notamment...

V. S. : En vérité, je n’ai pas choisi Ferdinand Gautier, je l’ai trouvé ! On connaissait les témoignages d’Alexandre Lenoir, qui n’est autre que l’envoyé de la Convention, il est administrateur des musées des monuments français ; ceux de Dom Germain Poirier, adjoint à la Commission conservatrice des monuments et archiviste à l’abbaye Saint-Denis, commissaire chargé d’assister à l’exhumation ; ceux également du gardien du chartrier de l’abbayeDom Druon sur lesquels, pour ces deux derniers, s’appuie Châteaubriand pour établir sa note relatant le récit des exhumations dans Le génie du christianisme. C’est à la [u] que j’ai découvert le journal de Ferdinand Gautier, organiste à la basilique, catholique et royaliste fervent et qui a donc servi de base au récit de L’Adieu aux Rois.

LA GAZETTE : D’autres personnages interviennent dans votre livre : André de Maisonseule, ancien officier d’infanterie du roi, Marc-Antoine Doudeauville, avocat, et Georges de Coursault, son secrétaire particulier. La description des personnages est si vivante que la fiction semble dépasser la réalité. Coiffures, attitudes, habits, tout y est... Vous êtes-vous inspiré de peintures et d’écrits du XVIIIe siècle pour élaborer votre roman ?

V. S. : Ah oui ! Déjà pour Une histoire française, Paris janvier 1789 qui tente de relater les vingt-cinq dernières années précédant 89 et dont L’Adieu aux Rois, Paris janvier 1794 est comme une suite, j’avais consulté, lu, étudié, tout ce qui avait été écrit en français sur et durant le dix-huitième siècle. Siècle pour lequel j’ai une forte attirance sans doute en raison de la musique baroque, des Lumières qui ne commencent pas avec la Révolution, de cette force de vie qui s’en dégage... Nombre de lecteurs d’Une histoire française me disent leur impression d’assister en direct à l’action décrite. Concernant ce roman, j’ai utilisé « les nouvelles à la main », c’est-à-dire les consignations des indicateurs de la police du Roi, qui sont autant de faits vrais et avérés. Je ne supporte pas le délire dans le genre historique. La réalité observée sera toujours plus extraordinaire que les projections de tel ou tel auteur. Quant à L’Adieu aux Rois, la part documentaire y est plus visible....

LA GAZETTE : Les profanations se sont déroulées en plusieurs étapes. Pouvez-vous nous en expliquer la chronologie ?

V. S. : En fait, du 6 au 10 août, outre quelques profanations de tombeaux médiévaux dont ceux de Philippe le Hardi et d’Isabelle d’Aragon, de Pépin le Bref, de Louis VI, ce sont les monuments funéraires qui seront détruits (20 %) ou démontés (le reste) à la demande de la commission des Beaux-arts qui les transfère au Musée des monuments français qui occupe une partie sauvée de la destruction du couvent des Augustins. En septembre, le conventionnel Joseph Lequinio dénonce l’inapplication des exhumations. Celles-ci auront lieu en octobre, du 12 au 25 octobre exactement. Et puis, le 18 janvier, aura lieu la dernière profanation celle de Marguerite de Flandre, fille de Philippe V.

LA GAZETTE : Vous narrez en détails l’état dans lequel sont trouvés les restes royaux. Je songe à Louis XV dont le corps n’était pas embaumé car variolique ou Louis XIV, dont la dépouille était noire comme de l’encre. Quelle exhumation vous a le plus surpris ?

V. S. : L’exhumation de madame Dernière, autrement dit de Louise-Marie de France, la plus jeune enfant de Louis XV et de Marie Leszczynska, reine de France, effectuée au carmel de Saint-Denis, le plus pauvre carmel de France, reste pour moi la plus poignante.

LA GAZETTE : Le plus étonnant est que vos personnages parlent avec une certaine bienveillance de Maximilien de Robespierre, chantre de la Terreur et de l’arbitraire au sein du Comité de Salut Public - et cela, pour tendre à justifier l’établissement de la démocratie par le gouvernement révolutionnaire. Selon des études contemporaines, l’on sait que le régime de la Terreur est responsable de 30 à 40000 morts (selon Jean Tulard) et du génocide vendéen qui inspira Lénine, Hitler etPol Pot (selon Reynald Secher). Est-ce une forme d’uchronie que d’avoir cherché à magnifier Robespierre sans dévoiler sa part d’ombre ?

V. S. : Les personnages d’Une histoire française que l’on retrouve dans ce roman-ci, quatre ans après, considéraient, comme Robespierre à cette époque, que le Roi était tout simplement intouchable, car sacré. L’Adieu aux Rois ne fait que montrer le changement qui s’est opéré dans une partie des esprits. S’agissant de Robespierre, n’oublions pas que c’est le peuple qui l’a désigné du qualificatif d’Incorruptible, qu’il n’y avait pas encore de boîte de com’ à l’époque.... Sans absoudre Robespierre et sans l’accabler non plus, nous savons que sa réputation a été fabriquée par les Thermidoriens dont Tallien, responsable des massacres de septembre 1792 et Barère qui, après l’avoir abattu, se dédouanèrent de leur recours à la violence d’Etat et de leurs exactions que Robespierre avait lui-même condamnées. Il faut faire attention, en histoire, à ne pas verser dans l’explication psychologique ; ça n’est jamais un seul homme. Prenons l’exemple du procès du Roi que Robespierre a toujours refusé, considérant que le Roi s’étant placé lui-même au-dessus des lois et qu’il n’avait donc pas à être jugé. Alors que la grande majorité des députés votera pour la tenue d’un procès. On ne le dira jamais assez : Robespierre a protégé les Girondins et a sauvé 73 d’entre eux de la guillotine. Enfin, je renvoie à un témoin de l’époque. « Votre opinion sur Robespierre et au moins fort hasardée si elle n’est pas fausse ; les hommes d’Etat ne doivent pas être jugés d’après les règles ordinaires de morale. En 1793 et 1794, il s’agissait de sauver le corps social et s’il était prouvé que le chef des Jacobins n’eût pas fait dresser les échafauds de la Terreur que pour combattre les factions et rétablir ensuite ce gouvernement royal que la France entière désirait, il serait injuste de regarder Robespierre comme un homme cruel et de l’appeler tyran ; il faudrait au contraire voir en lui comme dans Sylla, une forte tête, un grand homme d’Etat. Richelieu aurait fait plus que Robespierre s’il se fut trouvé dans une position semblable ». Ce témoin n’est autre que le frère de Louis XVI, Louis XVIII...

LA GAZETTE : Finalement, votre roman L’adieu aux Rois est-il une ode à la République naissante ou une ode aux monarques dont la mémoire venait d’être ensevelie ?

V. S. : Aux deux ! Pas de République française sans les Rois de France ! Par exemple, le droit du sol a été institué par les Rois... La France est un pays conservateur - je n’ai pas dit réactionnaire ! Comme le rappelait quelqu’un, la Révolution a coiffé d’unbonnet phrygien la monarchie. Cela me paraît assez visible. Les pays démocratiques ne sont pas légion sur notre planète. Oui, la royauté française a contribué très largement à unir efficacité politique et démocratie. C’est du reste, le sujet de mon prochain roman Les passagers de la cathédrale qui entend interroger cette idée deFranz Oppenheimer rapportée par Joseph Ratzinger qui fut pape : les démocraties se sont développées dans les pays judéo-chrétiens. La modernité, en somme !

PROPOS RECUEILLIS PAR CLOTILDE