Valère Staraselski

La fête de l’Humanité, 80 ans de solidarité
Backchich du 11 septembre 2010


ANNIVERSAIRE Créée en 1930 pour venir en aide à une Humanité en difficulté financière, la fête de l’Huma célèbre cette année ses 80 ans. Et, pour une octogénaire, elle se porte plutôt bien. Retour sur sa riche vie d’un raout qui rassemble au-delà des militants communistes.

L’HUMA, c’est la fête FINALE

La durée de vie d’un journal ne vaut guère celle d’une tortue. Avec Jaurès comme père, qui fonda l’Humanité en 1904, le canard avait pourtant trouvé sa bonne étoile. Rouge. Mais l’encre des rotatives ne nourrit pas l’estomac. La fête de l’Huma, si. A partir de 1930, premier rassemblement du nom, on apprend à survivre.
Le livre la Fête de l’Humanité, 80 ans de solidarité (le Cherche Midi) de Valère Staraselski, retrace les très riches heures de cette épopée rouge. Où s’organisent des collectes en faveur des ouvriers du Nord en grève. Le parler est au poing, au nom de la « solidarité prolétarienne ». La carte d’entrée coûte 2 francs. Dans le Figaro coulent des sueurs froides, écrites du haut du balcon : « Dans ce petit Moscou, 100 000 hommes, femmes, enfants clamaient sur tous les degrés de la gamme leur haine du bourgeois. Mais, lorsque le dernier train eut chassé la dernière cellule, quelle grève désolée a découverte cette marée rouge ! Des fûts de bière et de gros vin éventrés avaient semé le sous-bois de mares malodorantes, les troncs portaient les blessures du marteau et de la faucille. » Première épouvante.
Au lendemain de la guerre, ils seront 1 million à la fête. Un Staline géant trône sur la scène avec, de part et d’autre, des banderoles américaines, anglaises et soviétiques, comme à Yalta. Les jeux de massacre sont réservés à Hitler, Hirohito et Mussolini. Une vengeance pour rire des cinq ans de disette. Mais qui n’a pas empêché le journal d’être diffusé, sous le manteau, à plus de 50 millions d’exemplaires.
A la fête de l’Huma, le siècle se dévore avec les merguez dans l’assiette. En 1936, c’est la collecte des fonds pour les républicains espagnols. Douze ans plus tard, à l’allumage de la guerre froide, le journal coco titre : « Le peuple de France ne fera jamais la guerre à l’Union soviétique ». Un bras de fer pour mieux tirer le rideau. En 1949, Henri Salvador est le héros de la liesse populaire. C’est ça, l’Huma : des armes, des larmes et des chansons.
La guerre froide, qui dure, se règle à chaud sur le pré chaque deuxième week-end de septembre. « Plutôt cent gouttes de sueur pour la paix qu’une seule goutte de sang pour la guerre impérialiste » est le slogan de l’année 1950.
En 1954, la guerre d’Algérie trouve des communistes bien embarrassés, entre l’idée de la France, celle héritée de Ferry, et la réalité coloniale. L’Huma combat vivement les crimes des « événements d’Algérie » tandis que le comique Fernand Raynaud se promène dans les allées en signant sur des mouchoirs et des albums Pif.
Tiens, la place Staline a disparu.
A l’aube des années 60, la journaliste Catherine Claude fait état « des milliers de pieds battant la glaise comme un fouet la mayonnaise. Il pleut, il pleut. Plus on avance, plus on s’enfonce ». Le climat politique aussi, et la position du PCF sur les soulèvements en Hongrie déplace le rendez-vous annuel en périphérie, à Montreuil. Toujours à l’Est.
Hongrie ou pas, mur de Berlin ou non, les plus grands artistes répondent à l’appel de la java rouge. Comme en 1970, où les Pink Floyd remplacent « la rengaine gentillette de Michel Polnareff », note un correspondant. « Un quart de l’assistance se retire, les autres, progressivement conquis, font silence. »
Mao aura la sienne, de minute muette, en 1976, et une allée portera son nom, que viendront fouler les champions français des JO de Montréal. Raymond Poulidor et Jean-Pierre Rives viendront se mêler aussi à cette cérémonie de fierté ouvrière où, une fois par an, c’est le peuple qui tient la rampe.
Même Johnny, en 1991, une époque d’un autre âge, serrait la pince face caméra à Marchais. Il fallait cela pour oublier la fin d’un rêve devenu cauchemar, celui de l’URSS. Au point que le stand de la Pravda, naguère chœur sacré du sanctuaire soviétique, se retrouve coincé entre ceux du Salvador et du Rwanda, et deux fois plus petit que celui du PC martiniquais.
Mais c’est encore un habitué qui en parle le mieux. « On trouve tout à la fête de l’Humanité : des frites, Serge Lama, Trybuna Ludu, (...) des saucisses de Francfort, des voyages en URSS dans des pochettes surprises et bien sûr, partout, dans les moindres recoins des 50 hectares du parc de la Courneuve où se déroule cette immense kermesse, le PCF. »
_Et cela dure depuis quatre-vingts ans. L’avenir de la fête de l’Huma dure longtemps.

Louis Cabanes