Valère Staraselski

La Fête de l’Humanité - 80 ans de solidarité
Humanité Dimanche août 2010

France - Fête de l’Humanité

La politique y est fête pour tous et par chacun... depuis 80 ans


Depuis sa création en 1930, elle irrigue le débat politique, au point d’être devenue une fête républicaine, sans équivalent en France, nous explique Valère Staraselski. Journaliste et écrivain, il signe « la Fête de l’Humanité, 80 ans de solidarité ». Nous lui avons demandé comment cette fête s’est inscrite dans une tradition populaire.

HD. Est-ce qu’il s’agit du premier livre retraçant l’histoire de la Fête de l’Humanité ?

Valère Staraselski. Il existait déjà deux ouvrages. Un cosigné par Noëlle Gérôme et Danielle Tartakowsky, qui n’était pas vraiment chronologique mais plutôt thématique jusqu’à la Fête de 1986. Le second, plus personnel et signé par Catherine Claude, s’arrêtait en 1977. Depuis 1986, il n’y avait rien.

HD. Qu’y a-t-il de nouveau donc, avec vos recherches ? Qu’avez-vous découvert ?

V.S. Pour ma part, j’ai préféré présenter l’histoire de la Fête de façon chronologique, et plus exhaustive du point de vue des spectacles, des artistes, des expositions, des discours politiques... Ce n’est pas un catalogue, mais c’est la première fois que l’on présente ces aspects de manière systématique. Par rapport à 1986, la grande nouveauté c’est quand même la disparition de l’Union soviétique. Ensuite j’avais un a priori avant de commencer les recherches. Pour moi, la Fête perdait en fréquentation, elle devenait de plus en plus petite. En fait, ce n’est absolument pas le cas. La Fête de l’Huma est vraiment increvable. Elle revient chaque année, comme les vendanges. Quelquefois, la fréquentation a pu baisser, ou au contraire grimper jusqu’à 1 million d’entrées dans les années d’après-guerre. Mais globalement, et encore l’an dernier avec 600 000 personnes, la fréquentation reste la même.

HD. Vous avez fait le choix de raconter cette histoire au travers de périodes historiques... Pourquoi ?

V.S. L’ouvrage est effectivement découpé en cinq grandes périodes de l’histoire nationale et internationale, qui se reflètent complètement à l’intérieur de la Fête. De «  L’esprit du Front populaire » de 1930 à 1949 au «  Rassemblement de la gauche sociale et politique » dans la dernière décennie, en passant par « L’union des forces de gauche » de 1971 à 1989, toutes ces grandes se manifestent dans les mots d’ordre, dans les débats. De plus, on retrouve une constante, très forte à partir des années 1970 : la Fête est un grand lieu de débat, de pluralisme, qui irrigue le débat politique. En France, il n’y a pas d’équivalent. En ce sens, elle est aussi une grande fête républicaine. Elle appartient au patrimoine national, si bien qu’il faut y avoir été au moins une fois dans sa vie.

HD. Comment passe-t-on de la première Fête, destinée à sauver le journal, à sa pérennisation ?

V.S. « L’Humanité » est toujours en lutte pour sa survie. Les moments où le journal est tranquille sont rares. En même temps, la Fête de l’Huma a succédé à toutes les fêtes qui existaient dans le monde ouvrier. Toute cette tradition qui existait chez les ouvriers et qui consistait à faire des fêtes pour se retrouver le dimanche s’est retrouvée condensée à la Fête de l’Huma. Le lancement et la pérennisation de la Fête correspondaient également à une volonté d’organisation de la part du PCF au moment où il s’est bolchévisé. C’est la fête du journal, mais elle ne l’est plus aujourd’hui. Dans les années 1960 et 1970 par exemple, on organise des concours d’adhésion au Parti et aux Jeunesses communistes. C’est-à-dire qu’il y a un couplage entre les deux. En 1934-1935, le fil rouge politique de la Fête, c’est vraiment l’union. C’est le lieu où l’on peut se rencontrer, discuter, échanger. C’est vraiment la fête du peuple, comme il y en avait déjà au Moyen-Âge. Elle relie les gens entre eux. Quand on y entre, les codes ne sont plus les mêmes qu’à l’extérieur. Avant, même... Dans le train, dans le bus qui mènent à la Fête, il y a clairement une attitude de fraternité.

HD. C’est toujours valable aujourd’hui ?

V.S. Je trouve, oui. Le brassage est toujours là, c’est toujours la fête du peuple. Il n’y a qu’à regarder la couverture qu’en font les autres grands titres de presse, du « Monde » au « Figaro ». C’est toujours ce brassage sociologique des gens qui en ressort, mais avec une dominante populaire. Malgré le déclin du PCF, d’ailleurs. Et, quelque part, le succès chaque année confirmé de cette fête est l’incarnation de cette affirmation que le peuple existe. C’est tout le peuple qui y vient, et pas seulement le peuple communiste.

HD. Hier comme aujourd’hui, quand on participe à cette fête, est-ce que ça change quelque chose ?

V.S. On en ressort optimiste. Dans mes recherches, une photo m’a marqué. On y voit le stand du PCF de Gentilly, fermé en fin de soirée, décoré avec la faucille et le marteau, et une phrase d’Hemingway : « Le monde est un endroit magnifique pour lequel il vaut la peine de se battre. » C’est une affirmation de la vie... Quand on a participé à la Fête, en général, on en repart regonflé. On se rend compte qu’il y a des milliers de gens qui, comme soi-même, essaient de trouver des solutions aux problèmes du pays et du monde. Ou, pour le moins, ça donne envie d’agir.

ENTRETIEN REALISE PAR DIEGO CHAUVET
 dchauvet@humadimanche.fr