Valère Staraselski

La fête de l’Humanité, 80 ans de solidarité
"Pourquoi la fête de l’Humanité fait partie
du patrimoine national" Interview Marine Tertrais
JOL Press Septembre 2013

La fête de l’Humanité se déroule cette année les 13, 14 et 15 septembre au Parc de la Courneuve. Plus d’un demi-million de personnes sont attendues à ce rendez-vous qui existe depuis 1930. Décryptage de l’événement avec Valère Staraselski, auteur de « La fête de l’Humanité : 80 ans de solidarité » (Le Cherche Midi). Entretien.

Cette année encore, le Parc de la Courneuve accueillera du 13 au 15 septembre, la fête de l’Humanité. Au programme : de la musique, des meetings, des expositions et des débats. Sont attendus cette année Tryo, Archive, le phénomène Asaf Avidan, ou encore Féfé, Zebda, Sanseverino, et, pour la touche humour, Jamel Debbouze et son Jamel Comedy Club.

Décryptage de l’événement avec Valère Staraselski, auteur de La Fête de l’Humanité : 80 ans de solidarité (Le Cherche Midi). Entretien.

JOL Press : Quelle est l’origine de la fête de l’Humanité ?

Valère Staraselski : Tout a commencé en 1930 : le pouvoir politique a tenté de liquider l’Humanité en lui coupant les vivres. A l’appel du député communiste Marcel Cachin, 150 comités de défense du journal se sont formés et se sont réunis en congrès à Bezons. A la suite de ce congrès, dans le parc, on fait une fête. A cette fête, le jeune dirigeant du Parti communiste français, Maurice Thorez, chante Le P’tit Quinquin et fait une quête pour les mineurs en grève, dans le Nord. A partir de ce moment-là, les participants décident de refaire cette fête chaque année pour la défense du journal.


JOL Press : Comment cette fête est-elle devenue un événement culturel incontournable ?

Valère Staraselski : Le journal l’Humanité a été créé par Jaurès en 1904, c’est le journal du PCF, qui a été un très grand parti de gauche en France. C’est ce parti qui a permis aux couches populaires d’intégrer le jeu démocratique français. Aujourd’hui, il n’y a plus un seul député ouvrier à l’Assemblée parce que le Parti communiste est réduit à sa plus simple expression, mais il faut se souvenir que le PCF a joué un grand rôle, tant du point de vue social que culturel.

S’il existe une exception culturelle française, c’est grâce à Louis Aragon et André Malraux qui ont créé les maisons de la culture. Tout ce bouillonnement culturel français ne vient pas uniquement du Parti communiste, mais d’un grand mouvement de gauche dans lequel le PCF a joué un rôle essentiel.

JOL Press : Pourquoi les fêtes se déroulent-elles à la Courneuve ?

Valère Staraselski : Elles ne se sont pas toujours déroulées à la Courneuve. Pendant longtemps, la fête de l’Huma a eu lieu au bois de Vincennes, mais aussi à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, à Courbevoie... Aujourd’hui la fête se déroule à la Courneuve car le maire communiste a accepté de prêter un terrain aux organisateurs.

JOL Press : Comment les fêtes de l’Huma se déroulaient-elles aux heures les plus critiques des communismes russe et chinois ?

Valère Staraselski : Plutôt bien. On a une image du communisme aujourd’hui qu’on n’aura plus dans 20 ou 30 ans. Un grand nombre de Roumains regrettent Ceaușescu aujourd’hui. L’histoire change suivant la manière dont on l’envisage, mais le PCF a toujours été un parti très ancré nationalement. Quand, en 1983, un avion de ligne coréen a été abattu par un chasseur de l’Union soviétique, la France a été horrifiée, mais cela n’a pas empêché Julien Clerc et Robert Charlebois de venir chanter à la fête de l’Humanité. Ils disent ce qu’ils ont à dire, mais ils chantent tout de même.

Après l’invasion de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie en 1968, par exemple, le PCF a tenu à marquer sa différence et son autonomie culturelle et politique face à ce qui se passait dans le monde. La fête de l’Huma, comme Notre-Dame de Paris ou les vendanges, fait partie du patrimoine national.

Tout le monde s’y retrouve. Raymond Devos disait : « Mais la Fête de l’Huma - c’est pas du tout par complaisance que je dis cela -, elle m’a toujours subjugué. Elle est à la fois gigantesque et elle est l’esprit même de ce qu’est, pour moi, une fête. » Et Maurice Béjart : « La fête de l’Humanité est l’une des dernières en France à rassembler les gens sur une idée et redonnera au mot ‘collectivité’ son sens le plus vivant. » Quand vous arrivez à la fête de l’Humanité, que vous soyez cadre ou salarié, artiste, ouvrier ou chômeur, s’établit un rapport d’immédiateté avec la personne que vous rencontrez.


JOL Press : Quelle est aujourd’hui la part d’implication du journal et du Parti dans l’organisation de la fête ?

Valère Staraselski : L’implication du journal est totale, celle du Parti communiste est essentielle. Même si l’Humanité n’est plus l’organe central du Parti, sans le PCF, cette fête n’existe pas. Les stands sont tenus par des communistes, par exemple. La fête de l’Huma dépasse désormais le Parti, c’est la fête du peuple de la gauche populaire. Et chaque année elle attire un demi-million de personnes...

JOL Press : Que cherche une personnalité politique en se rendant à la fête de l’Huma ?

Valère Staraselski : La fête de l’Humanité est certainement, en France, le lieu où il y a le plus de débats contradictoires sur tous les sujets. Depuis quelques années, même les ministres de droite sont invités, et ils s’y rendent pour exposer leurs idées... à leurs risques et périls. Laurent Fabius s’est déjà fait bombarder d’œufs, certains n’ont pas le temps de finir de parler, c’est vivant...

JOL Press : Les bénéfices de la fête sont-ils encore aujourd’hui reversés au journal ?

Valère Staraselski : Oui bien sûr. Mais il peut arriver que la fête soit déficitaire car les artistes demandent des cachets de plus en plus importants. Certains font des efforts, d’autres s’en moquent.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Valère Staraselski est écrivain. L’adieu aux Rois, paru le 22 août, est son septième roman.