Valère Staraselski a de la suite dans les idées et il récidive : il vient de publier un bel album consacré à "La Fête de l’Humanité" comme il l’avait déjà fait en 2010 chez le même éditeur. Le principe est le même : chaque année de fête fait l’objet d’un article qui met en évidence ses caractéristiques, c’est richement illustré, le préfacier est identique (Patrick le Hyaric qui est directeur du journal depuis 2000) et l’aspect culturel est privilégié... Le format change, de 25 x 31,5 cm il passe à 22,4 x 28 cm et l’angle d’attaque est modifié : de la solidarité on passe à la liberté. Mais Valère Staraselski sous-titre son album "[Comme un air de liberté]", les connaisseurs sauront reconnaître le titre d’une chanson de Jean Ferrat, Un air de liberté (1975), écrite en réaction à l’article de Jean d’Ormesson alors directeur du Figaro et dans laquelle Ferrat condamnait toutes les guerres coloniales. Cette chanson fut interdite lors de l’émission d’Antenne 2 préparée par Jacques Chancel : ce n’était pas la première fois que Jean Ferrat était censuré ! (Je me souviens d’avoir vu à la Fête de l’Huma une belle exposition consacrée au chanteur, c’était "Jean des Encres, Jean des Sources"...) C’est dire que Valère Staraselski ne renie rien de son engagement et ne manque pas de mordant : voilà qui rappelle ou annonce la réponse àVincent Ferrier dans l’entretien que vient de publier L’Ours blanc : "Eh bien voilà, la politique, faire de la politique, entrer en politique, à mes yeux, cela a été ça : l’obligation de regarder les choses en face, de saisir les tenants et les aboutissants de la réalité, en apprenant à ne pas être désarmé intérieurement".
Ça sent la merguez ! Tel est le reproche que les bourgeois (encore de nos jours !) font à cette fête populaire comme s’il n’y avait que là où ça sent la merguez ! Ça sent aussi bien autre chose, et ce, dès les débuts. Valère Staraselski se plaît à le rappeler car il voit (et sent !) la fête de l’intérieur (à travers sans doute les archives qu’il a soigneusement exploitées). À l’année 1934, on peut lire : "À côté des frites révolutionnaires d’Argenteuil, on trouve le couscous du journal El Amel ou le buffet italien". Mais cette même année, la solidarité n’est pas absente, puisque Valère Staraselski note : "Les immigrés allemands et italiens chassés par le fascisme côtoient ceux du travail d’Indochine ou d’Afrique". Voilà qui en dit long sur les jugements venimeux de certains, comme le montre l’article du Figaro du 2 septembre 1935 reproduit sur la même page... Plus sérieusement, on remarquera que l’Histoire n’est pas ignorée, même les évènements sensibles... Valère Staraselski la retrace à grands traits pour faire comprendre le caractère que peut prendre la fête à un moment donné... Mais ce qui est irréfutable, c’est qu’à partir del’invasion de la France par les nazis, "des milliers de ceux qui venaient à Garches laisseront leur vie", pour la liberté. Après les années noires de l’occupation et de la collaboration d’une partie des politiques pendant lesquelles la fête n’aura pas lieu car interdite, 1945 verra la 10ème Fête de l’Humanité se dérouler dans la clairière de Reuilly. Dès lors, de manière ininterrompue jusqu’à aujourd’hui, la fête va s’adapter -quand ce n’est pas les devancer- aux aléas de l’Histoire (guerre froide, anticommunisme, condamnation du culte de la personnalité, guerres colonialistes, implosion de l’URSS, etc). Reste le refus du libéralisme (le nom acceptable du capitalisme !) Mais il n’y a pas que l’Histoire dans ce livre !
Il y a la solidarité, l’internationalisme, la politique au jour le jour, les arts, la littérature et la fête sous toutes ses formes. Il n’est pas étonnant que Valère Staraselski, un des spécialistes d’Aragon, note dans cet ouvrage toutes les occasions où Aragon dénonça tous les manquements de l’URSS à la démocratie et à l’idéal révolutionnaires. Il n’est pas étonnant, non plus, de relever tous ces moments où, pour reprendre les mots de Catherine Claude, il s’agissait de "faire de la fête un lieu culturel prestigieux". À lire ce livre, j’ai l’impression de feuilleter un album de photographies de famille. Je me souviens de ma première fête de l’Huma au début des années soixante (j’avais dormi sous la tente la nuit du samedi au dimanche et je retrouve, page 62, une vue partielle du camping de la fête). Je me souviens des moments que j’ai passés au village du livre comme en 1988 (ou 1989) quand je dédicaçai "Fragments du manque" ou comme en 2007 au stand desAmis d’Aragon et au stand du Temps des Cerises quand je signai "Aragon au Pays des mines"... Je me souviens encore de la grande exposition de 2004 au Parc paysager de La Courneuve, 100 Ans, 100 Peintres, où je pus admirer la grande toile de Ladislas Kijno, de mon passage au stand de la galerie "L’Art et la Paix", quelques années plus tôt, où j’achetai ma première œuvre de Kijno (une lithographie...). Je me souviens deRaymond Devos, de Zachary Richard, de Léo Ferré, de Catherine Ribeiro, d’Alain Bashung... Oui, j’ai l’impression de feuilleter mon album de photos...
Mais ce livre de Valère Staraselski est une leçon de tolérance. Au vu de l’éventail des artistes invités (qu’on les apprécie ou non etRoland Leroy dit des choses intéressantes à propos de la présence de Mireille Mathieu sur la scène centrale en 1973, page 91), au vu des responsables politiques déambulant dans les allées de la fête (qu’on soit en phase ou non avec eux), on peut mettre au défi les autres journaux d’organiser une telle fête populaire ! Mais surtout une belle leçon d’attention à l’égard des travailleurs intellectuels et manuels qui font la richesse et la diversité de la France d’aujourd’hui et qui connaissent trop souvent le mal-vivre généré par le capitalisme. La liberté pour changer le monde ! En tout cas, on est loin avec cet ouvrage des pisse-froid qui se complaisent à donner de La Fête de l’Humanité une image désolante, triste et sectaire.
Dans sa préface, Patrick le Hyaric note : "Depuis le 7 septembre 1930, au début de ce même mois, la Fête s’installe, vit, vibre au rythme de l’actualité, de la culture et des engagements. Elle n’a été interrompue que par les années noires de la Seconde Guerre mondiale". La Fête de l’Humanité n’est pas une bulle en suspension au-dessus du monde. Aussi n’est-il pas surprenant d’y découvrir tous les ingrédients qui font la société. C’est à ce voyage à travers quelque 80 années de fête qu’invite cet album...
Valère Staraselski : "La Fête de l’Humanité, comme un air de liberté". Le cherche midi éditeur, 216 pages, 24 €. Préface de Patrick le Hyaric.