Quand Valère Staraselski donne des nouvelles d’hier et d’aujourd’hui
L’éditeur La passe du vent a choisi de republier en un seul volume deux recueils de nouvelles, La revanche de Michel- Ange et Vivre intensément repose.
En nous plongeant dans la fin du siècle dernier si loin, si proche, leur lecture étonne …
La revanche de Michel-Ange et
Vivre intensément repose.
Valère Staraselski.
Préface de Bernard Giusti.
La Passe du vent, p 215, 15 euros.
Face à l’évidence du chaos, il revient à l’artiste de profiler son œuvre dans notre profonde humanité. La revanche de Michel-Ange et Vivre intensément repose sollicitent le lecteur sur sa capacité à garder pour le monde tel qu’il est, le souffle, l’empathie, sans lesquels nous ne saurions continuer à vivre. S’ils sont compassionnels, les textes réunis ici se doublent aussi, comme souvent chez cet auteur, d’une réflexion serrée sur le sens de la vie, l’apport de l’art dans nos existences parfois malmenées, la référence aux grandes œuvres. Ils sont également porteurs d’un regard, celui d’un écrivain qui n’a de cesse de s’interroger sur l’immédiateté et la perte. Ainsi Le Gant qui ouvre le recueil sur un quai du métro parisien constitue l’exemple même de la beauté et de la cruauté qu’une vie peut receler, où le pressentiment conduit Paul dans une course éperdue, souvenir d’une scène d’enfance face à la chronique d’une mort annoncée. L’écrivain aime à poser des yeux lucides mais bienveillants sur celles et ceux qu’il croise. Par exemple, curiosité toute retenue, dans l’antique train de nuit bringuebalant qui conduit Julien de Toulouse à Nîmes ville sous le vent, où la vie remonte par tous les pores, par tous les sens. Julien est un amoureux de la vie, un sensuel à fleur de peau, un jouisseur de l’instant entendu comme parcelle d’éternité. Mais, rappelle l’auteur, le malheur n’est jamais loin. Et lorsqu’il toque à la porte, il écroue facilement. Jean-Luc est à Fleury Mérogis où il paie, dans la relégation, ses fautes ou ses inaptitudes parce que le milieu auquel il appartient est frappé du sceau des gens de peu, des sans dents, de la violence aussi. Et il faut toute la connivence de la plume pour le tirer de l’oubli. La lettre du voisin, toute simple, Avenue des Peupliers, relate la vie courante d’une cité de banlieue avec son lot de rencontres afin que le prisonnier puisse continuer à espérer et repousser « l’instinct de mort » puisé dans le seul livre qu’il ait lu. Ce serait donc la mission de l’artiste que de dire le monde, de l’énoncer à la façon de Michel-Ange avec détermination et sans autre souci que d’élever l’esprit aux prises avec la matière. La représentation du monde si elle est une gageure répétée à l’infini n’en est pas moins la tentation de l’artiste, la tentative frontale, d’élaguer sa propre existence, d’éloigner les importuns, de se dénuder, une déprise en quelque sorte pour mieux pénétrer la vision que l’on a des hommes. Philippe Mariani, sorte de double de l’auteur, dans une Venise aux eaux grises et au ciel bas, n’en démord pas. Lors d’une discussion impromptue sur les marches de Santa Maria de la Piéta, avec son alter ego, photographe de son état, il sillonne, fiévreux, les raisons de garder le cap de la création et dans un raccourci fulgurant de clamer que l’esthétique dans l’art n’est rien moins qu’une éthique. La volonté d’une revanche ? Sur le déterminisme, la petitesse, l’abjection ? Qui sait ? Cette manière de dire l’existence, ses hauts et ses bas, ses attentes, ses espoirs et ses renoncements, ses victoires et ses défaites, donne le tempo des nouvelles qui scandent la deuxième partie du recueil dédiée aux femmes. Des figures de femmes, emblématiques ou hésitantes, avec cette force souterraine que Valère Staraselski leur concède toujours. Comme si la femme, avenir de l’homme, demeurait l’étalon de toute dignité humaine.
Francis Vladimir.