La jeunesse et sa relation à l’Histoire
On ne compte plus le nombre de romans publiés chaque année sur la Seconde Guerre Mondiale, à tel point que l’on pourrait se demander quelle histoire n’a pas déjà été racontée à ce sujet. Et pourtant ! Avec Le parlement des cigognes, Valère Staraselski lève le voile sur un pan de cette période très peu connu du grand public : celui des pogroms ayant eu lieu en Pologne à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, et jusqu’à trois ans après. Avec simplicité, il nous présente un groupe de jeunes adultes d’aujourd’hui, ceux qui construiront l’Europe de demain, et leur fait découvrir la Pologne et son histoire. Comme beaucoup de jeunes de cette génération, ils connaissent surtout la Seconde Guerre Mondiale et les horreurs de la Shoah par leurs cours d’histoire et la vision de films tels que La liste de Schindler de Steven Spielberg, qui est maintes fois cité en référence tout au long du récit. Et, au détour d’un café dans un bar de Cracovie, ce passé finalement pas si lointain va rapidement s’incarner pour eux sous les traits d’un vieil homme ayant réchappé à la déportation, puis aux pogroms après la fin du conflit. Passé et présent vont alors se mêler, et certaines dissensions se faire jour dans le groupe…
D’une écriture épurée allant droit à l’essentiel, Valère Staraselski se révèle tout aussi pertinent dès lors qu’il s’agit d’évoquer, en pointillés, cette jeunesse en mal de repères, pour laquelle l’Histoire est souvent assez abstraite comme nous l’évoquions avec lui lors de notre entretien, que lorsqu’il fait parler le vieil homme afin de nous faire remonter le cours du temps. Les jeunes protagonistes du Parlement des cigognes sont volontairement assez peu développés pour que nous puissions projeter librement cette image de la jeunesse actuelle sur eux, mais l’auteur touche juste lorsqu’il décrit leur ouverture, leur curiosité, en même temps que leur relative ignorance de ce qui s’est déroulé en Pologne quelques 70 ans plus tôt. Les personnages les plus positifs de l’histoire, les plus mis en valeur, David et Katell, possèdent un intérêt véritable pour cette période, une empathie aussi, qui leur permettra de comprendre pleinement l’importance du témoignage que leur transmet le vieil homme.
De ce côté-là, les références récurrentes à la Liste de Schindler sont valorisées par Valère Staraselski, qui semble nous dire, en creux, que l’art permet également de sensibiliser le public (et la jeunesse plus particulièrement) à des sujets qui pourraient autrement sembler trop lointains et abstraits. En alliant fiction, histoire et émotion, un lien vivant avec le passé est alors en mesure de se créer. A l’inverse, le personnage de Cyril, dont nous ne connaîtrons jamais le parcours ni les raisons, se braque et adopte une attitude sceptique qui semble lui servir de protection face à une horreur qu’il a sans doute du mal à se représenter. “C’est n’importe quoi”, cette réplique à elle seule illustre le rapport de défiance d’une partie de la jeunesse — hélas pas si isolée que cela — cédant à l’antisémitisme.
Un récit juste et poignant, très documenté
Le long récit du vieil homme — central, mais qui intervient uniquement dans la seconde moitié du roman — qui relate la survie au coeur du ghetto de Cracovie, est écrit avec justesse et sobriété, ce qui ne l’en rend que plus poignant. Très documentée et précise, cette partie est à l’image du livre dans son ensemble : elle refuse toute complaisance et n’a pas besoin d’en rajouter pour convaincre. C’est également dans cette seconde partie que le sens du titre (qui est aussi le nom d’un tableau de l’artiste polonais Wladyslaw Malecki) sera révélé. Les animaux (et, par extension, la nature) y apparaissent alors de prime abord comme le dernier rempart de l’homme face à la folie de son espèce. Pourtant, pas de grands discours de la part de Valère Staraselski, ni de ton moralisateur : seulement une inquiétude, mais aussi un espoir immense placé en cette génération qui, si elle est capable de regarder avec lucidité vers le passé et de s’unir, construira un avenir meilleur.
Car c’est finalement là le message que nous offre Le parlement des cigognes : l’avenir ne peut se construire qu’ensemble, et c’est aussi en nous unissant et en communiquant, en passant par l’humain, que la démocratie pourra être maintenue. D’où l’importance de connaître le passé et d’en tirer les leçons nécessaires, à l’heure où les derniers survivants de la Shoah disparaissent les uns après les autres. Plus qu’un simple roman historique, le dernier roman de Valère Staraselski est donc également un acte de foi en cette jeunesse qui se cherche, et envers l’humanité.