Valère Staraselski

Le Parlement des cigognes
Entretien avec Matthieu Guérin
Le site La faute à Diderot
21 août 2017


1) Avez-vous choisi le sujet de ce roman par devoir de mémoire ?

J’ai la conviction que chaque génération doit faire sa propre expérience pour réellement comprendre les choses. Tout au long de son œuvre, Aragon ne cesse de répéter "Je ne crois pas à l’expérience des autres". Notamment celle des aînés... Cependant, la transmission, qui n’est pas l’expérience, doit se faire, car les ennuis commencent quand elle ne s’effectue pas.

C’est pourquoi, de mon point de vue, l’une des tâches de l’écrivain, de l’artiste, de l’intellectuel, consiste à participer à ce devoir de transmission, de connaissance, de mémoire aussi dont il faut se rappeler qu’il a, au départ, été promu par des associations de victimes de laShoah. Notamment par Le réseau du souvenir, créé en 1952...

La non-connaissance, l’ignorance du passé, permettent la manipulation. Plus on ignore le passé, plus on en est l’esclave. C’est pourquoi, en réponse au courant négationniste, et en défense de la loi Gayssot de 1990 j’avais écrit et cosigné avec Didier Daeninckx, l‘auteur de série noire, "Au nom de la loi" paru la même année.

Mais avec Le Parlement des cigognes , il s’agit bien d’un fait historique particulier : l’extermination des juifs Polonais par les Polonais eux-mêmes, pendant et après la guerre 39-45. Fait assez méconnu. La connaissance ne remplace pas l’expérience mais demeure la condition sans laquelle rien n’est possible, sans quoi rien ne peut se faire, ne peut avoir lieu. La condition sine qua non ! C’est pourquoi, la transmission, oui, est un devoir !

2) Les personnages jeunes sont-ils, selon vous, représentatifs de la jeunesse d’aujourd’hui ?

La jeunesse d’aujourd’hui est conditionnée par le monde d’aujourd’hui. Société de surconsommation, (pour les occidentaux), densité informationnelle, blocages politiques, chômage, dangers de guerre, catastrophe écologique... Un journal américain a publié un sondage en mai 2017 mesurant le degré d’adhésion des Américains aux valeurs démocratiques. La question posée était : en quoi considérez vous que l’exigence démocratique est une chose cruciale ? Les réponses ont été comparées à celle d’un sondage similaire effectué dans les années 1930. Résultat : en 1930, 91 % des jeunes considéraient la démocratie comme cruciale, contre 57% aujourd’hui. Il me semble qu’on apprécie et en ne défend ce qui nous est utile. Or, la forme démocratique telle qu’elle existe aujourd’hui, perd des adeptes, en quelque sorte, continûment.
Je ne parviens plus à me souvenir quel écrivain a assuré qu’il y avait un peuple de la jeunesse. Cela rejoint la phrase de Tocqueville pour qui "chaque génération est un peuple nouveau, mais, dans les démocraties " précise-t-il.

À ces jeunes, et particulièrement à celles et ceux qui n’ont pas renoncé à agir pour le bien commun, je répéterai les paroles de historien Marc Bloch exécuté par les nazis pour faits de résistance en juin 1944 "L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent elle compromet, dans le présent, l’action même".

Pour vous répondre directement, je crois que les jeunes que l’on voit évoluer dans Le Parlement des cigognes sont assez représentatifs de ceux de nos années, du moins en partie : ils sont à la fois légers et responsables.

3) Vos romans tranchent avec ce que on peut lire par ailleurs, pour quelle raison selon vous ? Ils sont souvent prémonitoires. Je pense à Un Homme inutile à Sur les toits d’Innsbruck... Votre écriture est classique, vos récits installent le lecteur dans un univers prenant et vos textes sont en quelque sorte très directs. Ne pensez-vous pas que c’est la raison du succès grandissant de vos livres qui ne doit rien à la sphère médiatique ?

Mon choix de vie militante explique peut-être cela... Toujours est-il, pas de démagogie ni de laisser-aller avec le lecteur, donc pas de débraillé dans l’écriture ! Ma façon d’écrire ce qu’on désigne sous le vocable de style, tient, je crois, à la présence dans le scriptural de l’émotion bien sûr, mais surtout des sensations.

A mon entrée en cinquième, ma classe a été dotée d’un manuel de français qui avait pour titre Les Sensations. En couverture L’enfant au toton, (à la toupie) de Chardin. J’ai toujours cet ouvrage. Les cinq sens trouvaient une traduction écrite dans des extraits de textes d’auteurs tels Maurice Genevoix, Colette... La sensation pour dire le réel, manière pour mes fictions de s’articuler autour du réel. En d’autres termes, le contraire de l’abstraction.

Je suis persuadé que le propre de l’art consister à montrer que l’ailleurs est ici. L’art contre les chimères, en quelque sorte, ou l’art pour exprimer le présent et le comprendre.


4) Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Sur un roman qui interroge le christianisme et ses conséquences sur l’humanisme d’aujourd’hui. Et ce, dans une période où, selon moi, nous vivons le retour de Rome, autrement dit des "Jeux et du cirque" comme fondements de la société.

L’action se situe de nos jours dans la cathédrale de Meaux, qui a été celle deBossuet, avec des visites dans le passé...
Concernant l’Histoire et notamment celle de mon pays, je me permets de citer uen fois encore Marc Bloch :
"Il est deux catégories de Français qui ne comprendront jamais l’Histoire de France, ceux qui refusent de vibrer au souvenir du sacre de Reims ; ceux qui lisent sans émotion le récit de la fête de la Fédération".

En fait la base de mon projet avec ce roman tient dans la conviction, absolument contraire à ce qui est avancé par la doxa médiatique dont Michel Onfray est le parangon que l’humanisme doit beaucoup à l’idéologie qui est née et qui s’exprime dansles Évangiles. Ou plus précisément dans l’Ancien et le Nouveau Testament.

Et là, une fois de plus, je serai à contre-courant...

Entretien réalisé par Matthieu Guérin

Valère Staraselski est l’auteur :

Aux éditions du cherche midi de Le Parlement des cigognes, Sur les toits d’Innsbruck, L’Adieu aux rois, Le Maître du jardin, dans les pas de La Fontaine,
Nuit d’hiver
Une Histoire française, recommandé par Historia,
Un homme inutile, Monsieur le député.

Aux éditions De Boréehttp://www.deboree.com/de Nuit d’hiver,
et Une Histoire française, en format de poche.

Auxéditions Seuil Jeunesse de La jeune fille au ruban, illustrationAnne Buguet.

Aux éditions de L’Harmattan deDans la folie d’une colère très juste, d’Aragon, la liaison délibérée, revu et augmenté en 2005, ainsi que d’Aragon, l’inclassable

Aux éditions Bérénice
de Aragon, l’invention contre l’utopie.