« J’ai cherché. Non pas par "devoir de mémoire mais par devoir de transmission. Comme le chante Jean Ferrat : "pour qu’un jour les enfants sachent qui vous étiez" (...). La transmission du savoir n’est pas celle de l’expérience, mais elle explique la réalité de faits. » Ainsi s’explique Valère Staraselski sur son neuvième roman.
C’est un romancier d’expérience, reconnu et il travaille sa langue. Mais c’est aussi un essayiste et sait se faire historien à ses heures. Le Parlement des cigognes en porte la marque. Comme l’Aragon des Cloches de Bâle, d’Aurélien ou des Communistes, Valère Staraselski trouve la pitance de sa fiction dans le réel. Un réel tragique, ici : la destruction des Juifs de Pologne par les nazis mais encore par des Polonais, pendant l’occupation et dans l’immédiate après guerre...vous savez, cet antisémitisme des imbéciles dont parlait Auguste Bebel.
"Devoir de transmission" dit l’auteur. Alors, il commence par nous présenter cinq jeunes gens - David, Katell, Maxime, Charlotte et Cyril - qui, stagiaires à Cracovie sans rien savoir de la tragédie qui s’y déroula, vont la découvrir, d’abord sous la conduite de l’un d’entre eux, David, qui en sait un peu plus que les autres.
Avec lui, ils visitent l’ancien quartier juif, Kazimierz ; se rendent là où se trouvait l’effroyable camp de Plaszów où des milliers de Juifs ont été massacré. C’était le fameux camp du film de Spielberg "La liste de Schindler".
C’est un prologue. Valère Staraselski plante le décor et suggère le thème de l’opéra qui va suivre. Lors d’une visite d’une galerie de peintures, au-dessus de la Halle aux draps, sur le Rynek, les jeunes font la connaissance d’un vieil homme qui contemple un tableau montrant un groupe de cigognes : Zigmunt. Tout jeune, sa famille déportée, lui-même évadé d’un train de la mort, il va conter aux jeunes Français ce que fut la destruction des Juifs de Pologne ; comment s’y prenaient les nazis, méthodiquement ; comment certains Polonais leur facilitaient la tâche, complices par peur, par ignorance, par préjugés ; comment la nature seule l’a protégé durant sa fuite et sa longue attente de la libération.
La nature ? « En quête, en attente de voir les cigognes, de redécouvrir leur beauté lente, leur beauté immobile, la beauté simple des cigognes... Chaque fois, aujourd’hui encore, je suis émerveillé, porté par un enthousiasme sans bornes pour ces oiseaux ! Je puis affirmer qu’elles m’ont tenu en vie dans le malheur. Quand on n’a rien, ce qui est beau nous appartient. Oui, tout ! Les trilles des oiseaux, les papillons qui voltigent dans les branchages, la brise pure de la forêt et des champs, les crépuscules qui s’allongent au printemps et même le cri des corneilles qui annoncent le soir. Oui, la beauté ! Parfaitement, la beauté des cigognes en plein massacre. »
Un livre aussi beau que nécessaire.
Bernard Frederick