François, Pasolini et les jours gris
À la fin de sa vie, Aragon disait à peu près que la question de l’écrivain n’était, à ses yeux, ni le pourquoi ni le pour qui mais le comment. Si ça vous intéresse, le comment des Passagers de la cathédrale pourrait ressembler à ça, c’est-à-dire au début d’un voyage à Assise…
Parfois, certaines interminables journées d’hiver expriment parfaitement ce qu’est le découragement. Quelque chose dans la couleur du ciel lorsqu’il pleut ou qu’il grisaille. Le terreux de la terre. Un paysage décharné. Le vert esseulé d’une touffe d’herbe frémissante entre les cailloux.
Il y eut des Torquemada
La hideur des villes quand n’est visible tout à coup que la détresse des laissés-pour-compte. Les rapports entre humains aussi, ou plutôt l’absence de rapports. Par exemple, ces longs ou bien ces brefs mais lourds silences gênés entre eux, pleins du vide de la non-communication. Cette solitude qui, selon Émile Durkheim, caractérise nos sociétés contemporaines.
Les horreurs du monde évidemment, montrées journaux télévisés après journaux télévisés, ont de quoi décourager le quidam. Le découragement… Le découragement qui se décline d’abattement en déception, de désappointement en accablement, d’écœurement en anéantissement, est donné une fois pour toutes aux hommes.
C’est pourquoi l’être, qui a un cœur et qui veut vivre, a inventé le courage, donnant à celui-là formes multiples. La religion n’est pas la moindre de ces formes. Perpétuel dépassement du découragement, ne le refusant pas parce que le comprenant. Par la reconnaissance de l’autre, la religion m’est toujours apparue comme voulant porter plus loin les limites de l’humanité de l’Homme. Et cela, même si, dans son histoire, il y eut des Torquemada...
Je ne me souviens plus si dans son film Uccellacci e uccellini, Des oiseaux petits et gros, où l’on voit François d’Assise évangéliser les oiseaux, Pier Paolo Pasolini a situé son action en hiver ou non. Il me semble que oui.
En tout cas, me voilà avec les images en noir et blanc du film qui repassent dans ma mémoire, le dénuement de la campagne que je crois revoir, et tout à coup, cette phrase du cinéaste : « Je suis happé par un tel bonheur que je deviens quasiment aveugle. »
Ce bonheur est plus que le bonheur, ce bonheur dont est saisi Pasolini s’appelle bien sûr la joie.
Loué sois-tu mon Seigneur / pour sœur Lune et les Étoiles
Dans le ciel, tu les as formées claires / précieuses et belles...
« Ce poème de saint François d’Assise » — Cantique du frère Soleil — « résume », selon l’historien Jacques Le Goff, « tout l’amour fraternel de François pour toute la création. »
Et voici donc que la joie existe, que le découragement se surmonte et que l’écriture, mue par l’Amour, dit ce qu’on ne peut pas vraiment dire autrement, sauf avec la musique. Que le désir frappe dur contre la réalité jusqu’à éparpiller toutes résistances et la transformer pour faire place à la Joie. Et que l’on peut chanter à tue-tête avec Édith Piaf que oui, décidément, sans amour, on n’est rien du tout.
Valère Staraselski
Valère Staraselski est un écrivain et essayiste français, titulaire d’un diplôme en Histoire et Docteur ès Lettres. Engagé dans la vie intellectuelle et politique, il siège au Comité d’Honneur de la Société des Amis d’Elsa Triolet et Aragon, ainsi qu’au Conseil scientifique de la Fondation Gabriel Péri. Il est l’auteur de nombreux ouvrages publiés au Cherche midi, parmi lesquels Sur les toits d’Innsbruck, L’Adieu aux rois, Le Maître du jardin, Un homme inutile, Une histoire française ou encore Nuit d’hiver.