Valère Staraselski

Monsieur le député
"Du café du commerce au commerce des idées"
" Christian Valléry - 2008

Quelques notes et idées, jetées en vrac, après la lecture du roman "Monsieur le député", de Valère Staraselski (éditions du Cherche-Midi).




Monsieur le député, comme le laisse supposer son titre, s’attache plus particulièrement à nous décrire, précisément et méticuleusement, la vie et le quotidien d’un député, "homme de droite". On y voit (on y mange, on y bavarde, on y doute, on y jubile, on y jouit) et on y découvre les rouages de l’appareil démocratique, en l’occurrence son Assemblée nationale, par lesquels l’Etat s’efforce de faire face à ses obligations à l’égard de nous, ses citoyens.

Un livre d’une singulière -et brûlante- actualité, puisqu’il nous (re)plonge dans cette atmosphère si particulière qui régnait lors du drame du Kosovo, en 1999... Période de tensions internationales et nationales, à l’aune de laquelle, comme aujourd’hui, s’affirmait de manière vivace, quasi palpable, concrète, la fracture entre opinions publiques et représentants politiques, le tout sur un fond (un "bruit de fond", devrait-on dire) médiatique permanent et de grande ampleur.

Une question m’a paru évidente, à la lecture du livre et à sa confrontation avec ce que nous vivons aujourd’hui :

quel mode de démocratie sera le nôtre demain ?

Ou plus précisément, démocratie représentative ou démocratie participative ?

De la première, on ne peut nier qu’elle traverse une crise profonde, transverse à tous les courants politiques. Une crise qui, en outre, semble durable, installée, comme en témoignent les taux de participation aux élections depuis maintenant de nombreuses années. En ne nous intéressant qu’aux conséquences de cette crise (je laisse l’analyse de ses causes à plus qualifié que moi...), les chiffres nous sautent au visage : 82% pour Chirac, oui mais c’était face à Le Pen - le macadam s’étant substitué à l’isoloir...

Face à l’élection, le sondage, son versant (supposé) opposé, sorte de face émergeante de l’iceberg de la démocratie participative directe, seul planche de salut d’une société qui cherche par tous les moyens à écouter la voix et les voix de ses citoyens d’en bas, leurs demandes, leurs besoins, leurs pulsions... Des sondages qui nous révèlent un même Chirac actuellement au zénith, face à des "belliqueux" que leurs propres opinions publiques désavouent.

Le simple citoyen que je suis cherche désespérément où donc se niche la légitimité de ces chiffres et de ces consultations, les unes semblant valoir les autres, ou tout le contraire, et réciproquement d’ailleurs...

Cette crise de la représentativité, il me semble par ailleurs que nombre de politiques l’alimentent eux-mêmes, poussés en cela par les citoyens que nous sommes. Ne serait-ce qu’ inconsciemment, afin de se (de nous) débarrasser de cet "autre" qu’ils sont censés représenter, cet alter, innombrable, innommable et incertain, synonyme de frustration, d’abandon voire de négation de soi, au sein d’une culture (une civilisation ?) où la valorisation perpétuelle de l’ego n’a guère pour limite que l’angoisse de solitude et de mort qu’elle engendre.

Toutes les institutions me semblent aujourd’hui pâtir de cette crise. Crise de la légitimité, crise de la représentation et donc des représentations.
Essayons un contre-pied. Après tout, cette crise là ne représente-t-elle pas le doute fondamental à partir duquel s’est fondée la démocratie ? Un doute inscrit non pas en creux, mais comme le lieu symbolique et vivace dans lequel peu à peu s’inscrivent les transformations, l’espace où naissent les idées et les propositions ?

Ce qui ne lasse pas de m’effrayer, c’est l’ambivalence totale de ces valeurs, de ces deux représentations, une ambivalence substitutive qui fait que l’on accorde ni plus ni moins de crédit à l’une qu’à l’autre. Pour parler simple, dans l’esprit de beaucoup, elles se valent...

A l’heure du fameux "village global", alors que les technologies comme Internet permettent (ce qui ne veut pas dire que ceci soit efficient pour tous et par tous...) de créer des réseaux de communication et d’échanges comme nous n’en n’avons jamais connu par le passé ; alors que la demande de "citoyenneté", notamment dans les régions du globe qui en sont le plus privées, n’a jamais été aussi forte, nos démocraties voient s’effriter les modèles anciens, et se voient proposer l’expression directe, l’agora perpétuelle, le lobbying, l’acting, la promotion virulente d’intérêts dits "communautaires", la création perpétuelle de ghettos, sociaux ou culturels.

Atomisation sociale ou soif d’égalité ?

L’individualisme a-t-il à ce point triomphé qu’il doive être inscrit comme la règle démocratique numéro un ?

A y regarder de plus près, ce n’est pas tant au triomphe de l’individualisme auquel nous assistons qu’à la mise à mal, voire la mise à mort, du collectif...

Ou tout au moins, sa représentation. Ou un certain nombre de ses représentations passées... Le collectif aujourd’hui se doit d’être vécu comme une collection d’individus, une agglomération d’intérêts individuels. Chacun vaut pour un. Enfin, pourrait-on dire ! Car ils sont hélas encore des millions à ne pas pouvoir être eux-mêmes, rien qu’eux-mêmes. Etre soi, rien que soi, mais tout entier, tout à soi. Là où l’égalité n’existe pas, que voilà une formidable victoire.

Mais ne nous y trompons pas : cette victoire, une fois acquise, pose bien sûr les conditions de la démocratie. Mais elle n’y suffit pas. Ce qui menace les démocraties qui sont les nôtres, c’est le syndrome actuel du Café du commerce. C’est-à-dire le principe égalitaire poussé à ses extrémités : toutes les paroles et tous les avis se valent... Sauf que, (sans doute la fameuse exception française) ceux (les avis) que l’on n’entendait jamais vaudront désormais plus que ceux qu’on entendait tout le temps...

D’aucuns pourfendent la démagogie qui sous-tend de tels propos, mais ne préfèrent pas pousser leurs critiques plus avant. Les pistes électorales actuelles semblant pour le moins brouillées et tellement peu sûres, mieux vaut caresser un électorat, même de loin et pour peu de frais, que courir le risque de ne pas le caresser du tout ou alors dans le mauvais sens du poil.

C’est ainsi que la France "des couches moyennes ou laborieuses", forcément majoritaires, s’est vue proposer que l’on veille plus que jamais à ces fondements inaliénables de la démocratie, à savoir la sécurité, la défense de la propriété privée et leur corollaire, la baisse de l’impôt sur le revenu.

Une société qui, de Vichy, risque à terme de ne pas avoir que le goût, tant il est vrai que l’Etat, ce faisant, "distribue" à chaque individu et dans chaque foyer toute la violence sociale que lui-même ne se sent plus capable ni d’assumer ni de combattre.

A travers cette notion d’égalité, je souhaitais illustrer le dévoiement qu’on lui faisait subir, notamment au travers de cette crise de la démocratie représentative telle que décrite au tout début.

Un dévoiement pernicieux, voire dangereux, qui consiste à la considérer comme une fin, alors qu’elle n’est qu’un début. Au fronton de la République, juste après ce mot, est écrit "fraternité".

Entre les deux, le chemin : celui de l’équité.

Celui de la politique. Celui qui consiste à écouter, certes, mais aussi à entendre. L’avis de tous, et sans doute aussi, autant que faire se peut, celui de chacun. Mais sans prétendre, comme la démagogie actuelle voudrait nous le faire croire, que l’on peut répondre à tous, ou plutôt à tout un chacun. La légitimité du politique, celle des institutions qui ont pour mission de veiller à "l’intérêt collectif", c’est-à-dire celui du plus grand nombre, cette légitimité-là se mesure à l’aune de l’équité, que l’on pourrait aussi appeler justice, l’équité étant ici entendue comme le ciment de la communauté.

Ce que nous montre le roman de Valère Staraselski est comme ce miroir que la crise de la représentativité nous tend :

le Café du commerce n’est pas le "commerce" des idées.

L’égalité est sans aucun doute la reconnaissance de l’Autre. L’équité, c’est le souci de l’Autre. Le danger de la démocratie directe, telle qu’on nous la propose aujourd’hui, est bel et bien de monter les individus les Uns contre les Autres. D’avoir une vision de la société qui en appelle, au mieux, à la négociation et aussi rarement que possible à la responsabilisation.

Dans une démocratie représentative, nous acceptons de prendre la responsabilité d’élire ceux qui porteront notre parole et qui seront alors les garants de l’égalité de tous devant la République. A eux ensuite que d’assumer cette responsabilité qui est la leur, consistant à veiller à ce que l’équité, entre les citoyens, existe...

Ce que nous dit ce roman n’est pas anodin : aujourd’hui comme hier, après l’échange, voire la confrontation des idées, le plus dur, toujours, reste à faire : de la politique.

 Christian Valléry

source :
Vendémiaire N°8