Qui se souvient de la Bosnie ? Qui se souvient du Kosovo ? Qui se souvient que des flots de polémiques, entre intellectuels, accompagnèrent la période de la guerre du Kosovo ? Les déchirures dans le monde intellectuel et politique au sujet des conflits qui ébranlèrent l’ex-Yougoslavie sont aujourd’hui tombées dans l’oubli. Les médias accélèrent le temps et ne produisent rien d’autre que de l’oubli : beaucoup d’eau du fleuve médiatique a coulé sous les ponts en si peu de temps. Maintenant que de l’encre des tribunes libres rageuses et fugaces a séché, le temps du roman destiné à rester dans les annales est venu.
Valère Staraselski le premier l’a compris. Ce sont donc les guerres de Yougoslavie qui constituent la matière de son dernier livre, Monsieur le député. L’auteur, sans se départir de son engagement personnel sur cette affaire, prend du recul afin, dans un geste balzacien, de décrire l’impact sur le microcosme politico-intellectuel parisien de ces guerres ex-yougoslaves.
C’est un travail de connaisseur : le roman tient sur l’articulation entre la description littéraire des mécanismes proprement politiques dans lesquels les individus (tel ce Marc Plassard, député de droite, profondément convaincu de l’indissolubilité des épousailles du libéralisme et de la démocratie) sont ballottés et l’analyse psychologique approfondie de ces mêmes individus. L’important est ici : cette psychologie est toujours en situation, elle n’est jamais idéaliste. Marc Plassard en vient à avoir des idées sur le Kosovo très différentes de celles de son propre camp. La finesse de Staraselski - un écrivain dont le nom grandit dans les lettres françaises est d’être, par le truchement scriptural, une analyse de type phénoménologique des comportements politiques ; ce n’est donc pas - heureusement- une leçon de morale ou d’idéologie.
D’ici quelques semaines la guerre sera probablement rallumée, ailleurs qu’en Yougoslavie, en Irak. Il sera sans doute opportun à ce moment là de porter sur les positions (ou l’on verra que de nombreux partisans de la guerre "au sol" contre le dictateur Milosevic seront opposés à l’attaque contre un autre dictateur, bien plus criminel pourtant, qui n’hésita pas à gazer les kurdes, Sadam Hussein, et inversement) des uns et des autres sur cette nouvelle guerre l’éclairage proposé par Monsieur le député.
Un livre à lire avant la nouvelle, et prochaine, guerre.
Robert Redeker- Tageblatt - 2002